Si l'information est la somme de tous les points de vue, alors on peut aujourd'hui affirmer que l'information est sans doute définitivement morte et enterrée avec les tueries de Charlie Hebdo et du supermarché de Vincennes en ce qui concerne les médias dits "dominants".
Avec Le monde, Libération, France Culture, France 2, BFM-TV... entre autres organes de presse et de diffusion, un problème majeur est posé : celui d'une information honnête, compétente, proche d'une recherche de la vérité, de toutes les vérités dans le souci de coller au plus près du réel... de tous les réels : situations, ressentis, opinions, analyses, interprétations...
Face à ce mur médiatique de l'omission, face à ce barrage de paroles destiné à étouffer toutes les voix un tant soit peu dissidentes, confrontés à cette volonté délibérée de ne pas offrir à un public majeur et adulte toutes les clés de la compréhension des événements de ces derniers jours, que nous reste-t-il comme recours ? Quelles actions ? Vers qui nous tourner ? Peut-on attendre encore quoi que ce soit du CSA qui, depuis sa création, n'est que la tombe du pluralisme et de la liberté d'expression dans l'audiovisuel ?
La question est posée.
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Ci-dessous, un extrait d'un point de vue qu'aucun média "mainstream" n'acceptera d'entendre : celui de Frédéric Lordon, économiste et philosophe, qui nous propose une réflexion autour du slogan "Je suis Charlie" relatif aux événements de la semaine dernière.
Ce texte est tiré d’une intervention à la soirée « La dissidence, pas le silence ! », organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail à Paris le 12 janvier 2015.
"... quand « Charlie » désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand « Charlie », donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal. On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, « Je suis Charlie » était une injonction à s’assimiler au journal Charlie, cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment.
Je le pouvais d’autant moins que cette formule a aussi fonctionné comme une sommation. Et nous avons en quelques heures basculé dans un régime de commandement inséparablement émotionnel et politique. Dès ses premiers moments, la diffusion comme traînée de poudre du « Je suis Charlie » a fait irrésistiblement penser au « Nous sommes tous américains » du journal Le Monde du 12 septembre 2001. Il n’a pas fallu une demi-journée pour que cette réminiscence se confirme, et c’est Libération qui s’est chargé de faire passer le mot d’ordre à la première personne du pluriel : « Nous sommes tous Charlie » — bienvenue dans le monde de l’unanimité décrétée, et malheur aux réfractaires. Et puis surtout célébrons la liberté de penser sous l’écrasement de tout dissensus, en mélangeant subrepticement l’émotion de la tragédie et l’adhésion politique implicite à une ligne éditoriale. Ceci d’ailleurs au point de faire à la presse anglo-saxonne le procès de se montrer hypocrite et insuffisamment solidaire (obéissante) quand elle refuse de republier les caricatures. Il fallait donc traverser au moins une mer pour avoir quelque chance de retrouver des têtes froides, et entendre cet argument normalement élémentaire que défendre la liberté d’expression n’implique pas d’endosser les expressions de ceux dont on défend la liberté.
Mais cette unanimité sous injonction était surtout bien faite pour que s’y engouffrent toutes sortes de récupérateurs. Les médias d’abord, dont on pouvait être sûr que, dans un réflexe opportuniste somme toute très semblable à celui des pouvoirs politiques dont ils partagent le discrédit, ils ne manqueraient pas pareille occasion de s’envelopper dans la « liberté de la presse », cet asile de leur turpitude. A l’image par exemple de Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression ! — peut-être en tous les sens du terme d’ailleurs. Et combien de la même farine derrière Libé pour faire de la surenchère dans le Charlisme ?"
Le texte dans son intégralité ICI
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