Voici la suite de la première nouvelle intitulée « La rencontre » que je publie sur ce blog. La semaine prochaine je vous dévoile une nouvelle histoire…
La rencontre (suite et fin)
Une grande partie des invités est déjà arrivé. Ca rigole, ça s’amuse, ça danse. Je me plonge tout de suite dans cette ambiance festive et prend un verre de ce punch coco-ananas qui m’a l’air délicieux. Quel bonheur ! Ce parfum, cet arome, un vrai régal pour mes papilles. Il est descendu tout seul et je me sens bien mieux. Cette soirée s’annonce terrible. Je vais d’ailleurs prendre un autre verre.
L’apéritif s’éternise, je discute avec tout le monde de tout et de rien, du boulot, des vacances, des filles, de la vie. Le repas est enfin servi. Je pense qu’il est temps que je mange, ma tête commence à tourner. Depuis que je suis arrivé je ne fais que boire et je n’ai rien avalé de solide de la soirée. Au menu, grillades et salades accompagnées d’un rosé bien frais et en dessert, de la glace framboise-vanille et du champagne pour fêter comme il se doit l’emménagement de John et Erica. Le repas était top. Je suis bien, je suis détendu. Fini la fatigue et le stress de la semaine. Je suis d’humeur jovial et en pleine forme même s’il doit déjà être deux ou trois heures du matin. Tout le monde commence à partir mais je n’ai pas envie d’aller me coucher. Il me vient alors une idée : une petite partie de poker. Mais pas n’importe quel poker, « notre » poker car nous avons une règle spéciale. Les gagnants ne gagnent rien mais les perdants doivent boire un verre de tequila cul sec. Ambiance garantie. John, Marc et Rico se joignent à moi et nous nous installons sur une des tables du jardin. Au bout d’une demi heure, nous avons bu deux bouteilles de tequila à quatre et nous sommes obligés de nous arrêter car il ne reste plus aucune bouteille d’alcool. C’est bien dommage car on commençait à bien nous amuser.
En désespoir de cause, nous décidons de nous allonger sur les transats de la terrasse afin de regarder les étoiles à la recherche de « vaisseaux spatiaux ». Marc fait parti de l’amicale des extraterrestres. C’est très sérieux. Ils sont une trentaine dans son club à passer leur soirée sur internet à dénicher les derniers scoops ou photos d’ovni et à débattre de la véracité historique du secret de Roswell. Toutes les nuits sans nuage, il passe des heures à contempler le ciel. Rico sort un peu d’herbe et roule une cigarette qu’il fait circuler. Me voilà au paradis. Je me sens incroyablement bien. Tellement bien que je m’endors en quelques secondes.
Je n’ai pas beaucoup dormi mais j’ai bien dormi. Il est huit heures, nous sommes dimanche matin et je suis déjà debout. Dehors, tout est calme, pas un bruit. C’est reposant après l’année que je viens de passer au milieu de l’agitation new-yorkaise.
Comme je suis réveillé, avant tout le monde, je vais préparer le petit déjeuner et acheter quelques croissants, de vrais croissants ! Pas ces ersatz que l’on vous sert aux USA ni des muffins ou des pancakes ! Non, de vrais croissants français qui sentent bon le beurre frais.
J’enfile un pantalon, un t-shirt et des baskets et je pars pour la boulangerie à pied. Il fait beau, l’air est frais et pur. J’ai envie de marcher et de me plonger dans le calme ambiant. Il n’y a pas grand monde dans les rues, j’ai l’impression d’être seul. C’est étrange, cela faisait longtemps. Cela fait du bien.
Quand je me réveille, il est un peu plus de huit heures du matin. J’ai mal au crâne et mes oreilles bourdonnent. Ils sont tous partis et ils m’ont laissé là, sur la terrasse. Je vais rentrer chez moi et dormir toute la journée. Heureusement que je n’habite pas très loin car je me sens vide et épuisé. Je retrouve ma voiture sans trop de difficultés. Je mets le contact et m’engouffre dans la rue principale. Je roule doucement mais ne voyant personne je décide d’accélérer un petit peu pour arriver plus vite chez moi.
J’aperçois la boulangerie de l’autre côté de la rue. Je sens l’odeur du pain chaud et mon estomac se met à gargouiller de plaisir. Pas de voiture à l’horizon, je traverse. Je m’avance tranquillement et c’est là qu’il surgit de nulle part. Il déboule au coin de la rue.
- Dring ! Dring !
Tiens, téléphone ?! Qui ça peut bien être à cette heure, un dimanche matin ? A tous les coups c’est ma mère qui s’inquiète. Je jette un regard circulaire pour vérifier qu’il n’y ait personne sur la route et me penche sur le fauteuil côté passager pour l’attraper.
Il ne me voit pas car il a la tête baissée, il cherche quelque chose. Il roule à vive allure et je pense que je n’aurai pas le temps de rejoindre le trottoir d’en face.
« Ca y est, je l’ai! », je me dis fièrement alors que je relève la tête. Et c’est là que je le vois. Lui, en plein milieu de la route. Mais qu’est-ce qu’il fait là ? J’ai pourtant vérifié ! Il n’y avait personne il y a à peine deux secondes. Il faut que je freine tout de suite. Je ne sais pas si je vais pouvoir l’éviter. Pourquoi me regarde-t-il comme ça sans bouger ? Allez casse-toi ! Cours ! Fais quelque chose !
Je vois son regard étonné quand il relève la tête, il appuie sur le frein mais il est trop tard. Je pense alors à mes parents et à leur dévotion pour moi, à Jala que j’ai demandé en mariage hier soir. Je pense à ma carrière d’avocat qui m’attend à New York, à mes deux enfants Enzo et Luciane que je n’aurais jamais. Je pense à ma future vie, celle que je ne vivrais pas.
Je freine de toutes mes forces mais c’est trop tard, je ne peux rien faire, je le percute violemment. Son corps vole au dessus de ma voiture et tombe lourdement sur l’asphalte. Je finis par m’arrêter une vingtaine de mètres plus loin. Je sors précipitamment et je cours vers lui le portable à la main en composant le numéro des pompiers. Il est étalé sur le sol, il ne bouge pas. C’est bizarre parce qu’il n’y a pas une goutte de sang pas la moindre trace du choc comme s’il s’était simplement allongé sur le sol mais j’entends bien qu’il respire difficilement.
Je vois son visage au dessus du mien. Un garçon brun aux yeux marron, au visage poupin. Je vois son regard troublé. Il a l’air totalement perdu, triste, déboussolé. Pourtant moi, je me sens bien. Je ne suis ni en colère ni inquiet. Une immense sensation de chaleur a envahit mon corps. Je n’ai aucune douleur, j’ai l’impression d’être plongé dans une bulle de coton.
Son regard est si paisible et serein alors que je suis consterné et paniqué. Qu’est-ce que j’ai fait ? Ce n’est pas possible. Il ne va pas mourir. Dites-moi qu’il ne va pas mourir, que je ne l’ai pas tué. Il est trop jeune pour cela, il doit avoir mon âge tout au plus. Que dois-je faire ? Je n’ai jamais suivi de cours de secourisme. Est-ce que je le déplace ? Est-ce que je dois lui faire du bouche à bouche ou un massage cardiaque ? Toutes ces questions s’infiltrent dans mon esprit comme du poison. Je suis incapable de bouger ni de penser correctement.
Je vois d’autres têtes apparaître au dessus de moi. Ils sont maintenant une dizaine à me regarder avec effroi. Chacun y va de son petit commentaire « il faudrait le mettre sur le trottoir au lieu de rester en plein milieu de la route », « non j’ai lu qu’il ne fallait pas bouger les accidentés », « et si on lui mettait une couverture ?», mais en réalité, ils ne peuvent plus rien faire.
Je suis totalement impuissant, je ne peux rien faire pour le sauver. Je ne peux qu’espérer. Espérer que les secours arrivent à temps, espérer qu’il vive encore. Je me focalise sur sa respiration qui se fait de plus en plus lente et difficile en priant de toutes mes forces n’importe quel dieu qui voudra bien m’écouter mais quelques minutes plus tard, c’est fini.
Je suis mort ce dimanche matin du mois de juillet à 8h23, je n’ai que 26 ans.
Mon âme est morte avec lui, cet inconnu, ce jeune homme que je ne connaissais pas, je n’ai que 24 ans.