lettres dignes des aristocrates à Downton Abbey

Publié le 13 janvier 2015 par Dubruel

d'après CORRESPONDANCE de Maupassant

Étretat, ce 25 Août 1830.

Ma chère tante,

Je serai chez vous, en Alsace,

Pour l’ouverture de la chasse.

J’aimerais tellement taquiner

Vos amis-chasseurs, tante affectionnée !

Au diner, vous les autorisez

À s’asseoir à votre table

Avec leurs habitudes détestables :

Sans se changer, sans se raser…,

Moi, je passerai la revue,

Comme vous n’en avez jamais vue.

Si un seul s’obstine,

Il ira souper à la cuisine

Avec les bonnes !

Sur le savoir-vivre des hommes,

Il y a beaucoup à raconter.

Il faut leur montrer de la sévérité

Car c’est le règne de la goujaterie.

Figurez-vous, tante chérie,

Que vendredi, dans le train

Un monsieur retira ses brodequins

Sous mon nez.

Un autre, un parvenu, aussi mal élevé

Bien entendu,

Secoua son parapluie

Sans excuse ni préavis

Et m’aspergea tant et plus.

Dans le hall de l’hôtel, un galonné

Sans doute aviné,

En prenant sa clé de chambre au tableau

A fait tomber mon chapeau.

Il n’eut pas un geste pour le ramasser.

À la salle à manger,

Le chef de rang ,

Maladroit, a renversé du potage

Sur mon corsage.

Indiférent,

Il m’a laissé l’essuyer

Sans même m’aider.

À minuit, comme je sortais du bal

Donné chez le Préfet Darnal

Le portier m’a bousculé

Il n’a pas dit un mot pour s’excuser.

Le lendemain, à la plage,

J’étais assise près de deux sauvages

Débraillés, vulgaires, infréquentables.

Ils racontaient des histoires abominables

Usant de réflexions honteuses

Et de boutades monstrueuses.

Ils n’ont pas vu qu’ils m’importunaient.

Et c’est moi qui dus m’écarter

Pour ne plus les écouter.

Sur ce, je vous embrasse, ma chère tante,

Votre nièce, Louise-Armande.

Strasbourg, 30 Août 1830

Ma chère nièce,

Je fus, comme toi,

Très indignée autrefois

Par l’impolitesse

Du sexe dit fort.

L’âge venant, je vois aussi nos torts.

Si les hommes sont souvent impolis,

Les femmes se croient tout permis.

Elles ont parfois une indécence indue.

Elles estiment que tout leur est dû.

Les hommes de maintenant

Me paraissent plus délicats que dans le temps.

Au reste, si les femmes

Étaient des grandes dames,

Les hommes seraient tous des gentilshommes.

Écoute ! Quand, sur un trottoir,

Deux femmes se croisent :

Quelles attitudes ! Quels regards !

Elles se toisent.

Imagine

Deux voisines,

Qui discutent sur un palier.

Elles bouchent l’accès de l’escalier.

Un locataire monte. Dérangées,

Elles se mettent à rouspéter.

L’autre jour, j’arrivais chez Blanc,

Le restaurant où j’ai mes gourmandises.

Toutes les tables étaient prises.

Une dame aux cheveux blancs,

De noble tournure, réglait

Avant de s’en aller.

Eh bien ! Lorsqu’elle me vit,

Elle se rassit,

Enfila lentement ses gants

Et contempla un à un les clients,

Y compris ceux qui, comme moi, attendaient.

Or, au même instant,

Deux jeunes gens

Qui finissaient

De déjeuner,

M’ont vue patienter.

Ils se sont levés

Et m’invitèrent à prendre leurs places.

Ils eurent même la grâce

D’aller attendre leur monnaie,

Debout, au comptoir.

Ainsi, sans plus tarder, j’ai pu m’asseoir.

C’est à nous, vois-tu, ma jolie,

Qu’il faut apprendre à être polies.

P. S : Je ne veux pas que tu passes

Pour l’ouverture de la chasse.

Pourquoi gâter, ma chérie,

La joie de nos amis

En leur imposant une toilette élégante

En ce jour de divertissement campagnard ?

Je t’adresse mes baisers les plus rares.

Ta vieille tante.