d'après CORRESPONDANCE de Maupassant
Étretat, ce 25 Août 1830.
Ma chère tante,
Je serai chez vous, en Alsace,
Pour l’ouverture de la chasse.
J’aimerais tellement taquiner
Vos amis-chasseurs, tante affectionnée !
Au diner, vous les autorisez
À s’asseoir à votre table
Avec leurs habitudes détestables :
Sans se changer, sans se raser…,
Moi, je passerai la revue,
Comme vous n’en avez jamais vue.
Si un seul s’obstine,
Il ira souper à la cuisine
Avec les bonnes !
Sur le savoir-vivre des hommes,
Il y a beaucoup à raconter.
Il faut leur montrer de la sévérité
Car c’est le règne de la goujaterie.
Figurez-vous, tante chérie,
Que vendredi, dans le train
Un monsieur retira ses brodequins
Sous mon nez.
Un autre, un parvenu, aussi mal élevé
Bien entendu,
Secoua son parapluie
Sans excuse ni préavis
Et m’aspergea tant et plus.
Dans le hall de l’hôtel, un galonné
Sans doute aviné,
En prenant sa clé de chambre au tableau
A fait tomber mon chapeau.
Il n’eut pas un geste pour le ramasser.
À la salle à manger,
Le chef de rang ,
Maladroit, a renversé du potage
Sur mon corsage.
Indiférent,
Il m’a laissé l’essuyer
Sans même m’aider.
À minuit, comme je sortais du bal
Donné chez le Préfet Darnal
Le portier m’a bousculé
Il n’a pas dit un mot pour s’excuser.
Le lendemain, à la plage,
J’étais assise près de deux sauvages
Débraillés, vulgaires, infréquentables.
Ils racontaient des histoires abominables
Usant de réflexions honteuses
Et de boutades monstrueuses.
Ils n’ont pas vu qu’ils m’importunaient.
Et c’est moi qui dus m’écarter
Pour ne plus les écouter.
Sur ce, je vous embrasse, ma chère tante,
Votre nièce, Louise-Armande.
Strasbourg, 30 Août 1830
Ma chère nièce,
Je fus, comme toi,
Très indignée autrefois
Par l’impolitesse
Du sexe dit fort.
L’âge venant, je vois aussi nos torts.
Si les hommes sont souvent impolis,
Les femmes se croient tout permis.
Elles ont parfois une indécence indue.
Elles estiment que tout leur est dû.
Les hommes de maintenant
Me paraissent plus délicats que dans le temps.
Au reste, si les femmes
Étaient des grandes dames,
Les hommes seraient tous des gentilshommes.
Écoute ! Quand, sur un trottoir,
Deux femmes se croisent :
Quelles attitudes ! Quels regards !
Elles se toisent.
Imagine
Deux voisines,
Qui discutent sur un palier.
Elles bouchent l’accès de l’escalier.
Un locataire monte. Dérangées,
Elles se mettent à rouspéter.
L’autre jour, j’arrivais chez Blanc,
Le restaurant où j’ai mes gourmandises.
Toutes les tables étaient prises.
Une dame aux cheveux blancs,
De noble tournure, réglait
Avant de s’en aller.
Eh bien ! Lorsqu’elle me vit,
Elle se rassit,
Enfila lentement ses gants
Et contempla un à un les clients,
Y compris ceux qui, comme moi, attendaient.
Or, au même instant,
Deux jeunes gens
Qui finissaient
De déjeuner,
M’ont vue patienter.
Ils se sont levés
Et m’invitèrent à prendre leurs places.
Ils eurent même la grâce
D’aller attendre leur monnaie,
Debout, au comptoir.
Ainsi, sans plus tarder, j’ai pu m’asseoir.
C’est à nous, vois-tu, ma jolie,
Qu’il faut apprendre à être polies.
P. S : Je ne veux pas que tu passes
Pour l’ouverture de la chasse.
Pourquoi gâter, ma chérie,
La joie de nos amis
En leur imposant une toilette élégante
En ce jour de divertissement campagnard ?
Je t’adresse mes baisers les plus rares.
Ta vieille tante.