Une tendance, du moins, celle que les constructeurs voudraient bien faire passer auprès du grand public, et soulignée par bon nombre de publications, tente de s’affirmer: les objets connectés. C’est bien connu, l’humain va, le plus souvent, vers les solutions de facilité. Sans forcément penser plus avant en regard les implications sur le long terme, ni, à qui, finalement, pourra profiter ce « trend », au-delà des seuls fabricants, vendeurs de ces gadgets…
L’histoire se répète, c’est bien connu
Un bracelet de santé, une montre connectée, un frigo connecté, une brosse à dents connectée, l’automobile connectée, (…) tout un monde globalement connecté, par le biais d’objets, dialoguant continuellement via internet, avec la promesse d’un monde meilleur, plus simple, plus accessible, plus personnalisé. Vraiment ?
Quel objet connecté est, à votre avis, celui qui intéresse le plus les grandes entreprises qui militent massivement pour ces objets connectés ? Notre porte-monnaie, sans aucun doute ! Et ce, non seulement dans un premier temps, par le simple acte d’achat d’un de ces gadgets de prime abord cool et tendance, mais avec une vision globale sur le long terme qui n’est pas forcément réjouissante, même pour des amateurs de nouvelles technologies.
Revenons un tant soit peu sur un modèle économique du web qui cartonne : celui de la vente, toujours plus ciblée de publicité, et, par extension, de produits de consommation que nous sommes les plus enclins à acheter, parce que correspondant à nos habitudes ou envies de consommation. À titre d’exemple, bon nombre d’acteurs de la régulation de l’internet, du côté de la protection des consommateurs, admettent que contre des géants comme Google ou Facebook, pour ne citer que ces deux-là, la bataille est déjà perdue. Ces entreprises privées tentaculaires sont parvenues, à leur manière, à se poser comme des incontournables, qui ont atteint une telle masse et un tel pouvoir qu’il n’est pour ainsi dire plus possible de les pousser à faire machine arrière sur leur modèle économique. Google, d’apparent simple mais efficace moteur de recherche, est devenu la plus grande régie de publicité ciblée du monde, alliant services gratuits incontournables et récupération de données personnelles en masse permettant de vendre encore et toujours plus de publicité, et d’augmenter ainsi ses revenus. Facebook a, quelque part, fait encore mieux en parvenant à transformer tous ses membres en fournisseurs de contenu, mais surtout, en cibles pour les publicitaires. Des bénévoles qui à la foi alimentent en contenu et en revenu, simplement parce qu’ils se sont tournés vers la facilité. Pensez : pour avoir un espace d’expression, il fallait, avant l’avènement des réseaux sociaux, devenir blogueur. C’était un peu plus compliqué, et si on voulait être totalement indépendant, cela nécessitait de s’affranchir de frais d’hébergements, entre autres. L’attrait envers Facebook vient sans doute, en plus de cette facilité, de l’impression de liberté d’expression acquise par chacun en trois clics et de la mise sur un piédestal de l’ego de chacun, dans lequel on finit par s’enfermer. Google, comme Facebook, ont pris le temps d’avoir une masse critique assurant leur rentabilité avant de montrer leur vrai visage, et il y a fort à parier qu’une bonne partie de ce modèle soit récupéré pour les objets connectés. Il est encore temps d’y réfléchir avant de se lancer tête baissée vers ces apparentes nouveautés, du moins, tant que nous pouvons encore choisir de les adopter ou non…
Avec nous, vous avez toujours raison (de consommer)
Les objets connectés comme présentés au grand public sont à bien des égards une mise à disposition en masse d’un domaine qui est né suite aux premiers concepts d’habitats intelligents, dans les années 70 déjà : la domotique. Cependant, la dénomination d’objet connecté va plus loin, puisqu’incluant également les « wearables », ces objets à porter sur soi, comme les bracelets de santé, par exemple.
Il n’est pas difficile d’imaginer la démarche souhaitée par les concepteurs de ces objets connectés. Nous en faire adopter un, puis deux, puis une multitude. Tous avec un ciblage d’une activité bien précise. Un bracelet de fitness, qui permet de voir notre activité physique. Un frigo connecté, qui connaîtra nos habitudes de consommation de produits alimentaires. Un boîtier OBD connecté pour notre automobile, qui nous aidera à maîtriser notre conduite et à économiser sur la consommation d’essence. Et la liste peut s’allonger presque à l’infini. En ce qui concerne le domaine de la domotique, des solutions existent depuis belle lurette, offrant à chacun la possibilité d’être maître de son habitat piloté et régulé à distance, sans pour autant partager les données sur internet. Les données récoltées par ces objets connectés qu’on nous propose actuellement passeront obligatoirement par internet, puisque liés à des services. De pratique, l’explosion de l’utilisation par chaque individu de multiples objets connectés récoltant des données bien précises pourrait très vite se transformer, si ce n’est en cauchemar, en une cage dorée, pour ne pas dire bulle perceptive. Une bulle qui nous enfermerait dans un modèle de consommation très pernicieux, puisque nous confortant d’un côté à aller vers ce que l’on aime déjà, et d’un autre côté, en nous forçant à adopter des comportements bien précis, au besoin.
Imaginons…
Votre nouveau réfrigérateur connecté est formidable. En plus de tenir votre stock à jour, il vous permet depuis peu de commander automatiquement les produits qui remplissent ses rayons. Vos desserts favoris, vos viandes et légumes d’un certain genre, bref, tout ce qui fait le bonheur de vos papilles, correspondant à votre profil. C’est tout de même bien plus pratique que cette bonne vieille carte de fidélité, qu’il fallait tendre au supermarché à chaque visite dans ce temple désuet de la consommation, où il fallait faire la queue chaque semaine, pour ne se voir proposer que quelques réductions.
Avant que n’advienne ce sentiment coupable de n’avoir pas fait suffisamment d’exercice, une vibration à votre poignet, induite par votre bracelet de santé, vous rappelle qu’il vous faut marcher encore 45 minutes, parce que justement, vous avez forcé sur la crème au chocolat. Ce sera l’occasion de prendre l’air, que vous retrouverez assaini en rentrant, puisque votre climatisation se chargera de booster son activité durant votre courte absence. Eh puis, comme la petite dernière vient de passer son permis, ce sera également l’occasion de réfléchir à cette nouvelle assurance auto, qui inclut une belle réduction si on accepte d’équiper la voiture familiale d’un mouchard, qui permettra de jeter un œil sur ses trajets ainsi que son comportement sur la route, histoire de s’assurer que la « gamine » ne fait pas de bêtises au volant…
De nombreuses ballades en fin de journées ont passé. D’autres objets connectés ont rejoint les premiers. Toujours plus pratiques. Mais il y a cette lettre reçue la semaine dernière, que vous aviez prise pour une publicité, ouverte en même temps que celle de votre assurance santé, arrivée ce jour. Sans crier garde, dans l’acceptation des nouvelles conditions générales, vous aviez accepté le nouveau bracelet de santé, offert par ladite assurance. Malheureusement, votre réfrigérateur connecté, répondant à vos envies, n’a cessé de faire livrer votre nourriture favorite, faisant de vous un client à risque face aux accidents cardio-vasculaires, alors que sur le rapport, votre activité physique suivie quotidiennement souligne votre manque d’exercice. Votre assurance maladie vous signale que malheureusement, vos soins complémentaires sont suspendus, conformément aux conditions de votre contrat. L’autre lettre, elle, prend acte de votre renvoi de boîtier connecté pour l’automobile. Logique, pour vous, puisque votre fille à quitté le domicile parental pour voler de ses propres ailes. Mais malheureusement, l’adoption d’un mouchard est devenue, entre temps, obligatoire pour souscrire à la moindre RC auto. Vous aviez déjà trouvé étrange, il y a peu, les ajustements de vos factures énergétiques, avec des tarifs variables, pour lesquels, bizarrement, la concordance de ces pics tarifaires aux instants où votre régulation, s’adaptant à vos habitudes, consommait le plus d’énergie. « Mais non, c’est de la paranoïa. Tout ça, c’est pour mon bien », finissez-vous par vous dire avant d’aller vous coucher, tandis que la lumière se tamise déjà automatiquement dans le living…
Heureusement, demain sera un autre jour. Et vous avez déjà pris la bonne résolution de vous rendre en bus dans la seule supérette existant encore dans votre agglomération de 40’000 habitants, histoire de voir quels sont les nouveaux produits exposés en rayon, depuis tout ce temps que vous ne faisiez plus vos courses.
7h30, le lendemain, dans la fraîcheur du matin, pensif mais heureux de ce changement d’habitude, vous vous approchez de l’arrêt bus le plus proche, scrutant l’indication du prochain ramassage. « Prochain bus automatisé, ligne A3, dans 1h30 ». On vous l’avait dit, mais cela vous était sorti de la tête, à force de ne plus penser à ces petites choses : les bus sont envoyés au besoin, dès que suffisamment de gens quittent leur habitat en se rendant vers l’arrêt. Et visiblement, votre présence seule ne justifie pas l’envoi d’un bus, et personne ne viendra vers vous avant un moment pour vous faire la causette…
Cadre légal VS responsabilité de chacun
Plus proche de nous, même si ce petit scénario n’est pas si farfelu que cela, il est important de prendre conscience que ce qui intéresse les fabricants, c’est une fois de plus nos données personnelles et la manière dont ils pourront en tirer profit. Les objets connectés de demain permettront de créer un profil de chacun d’entre nous encore plus pointu que nos recherches sur le web ou ce que permettent nos smartphones. Un fichage client de tous les instants. Si, d’un certain côté, ces solutions peuvent s’avérer intéressantes pour augmenter notre confort de vie (on en revient encore à notre goût inné pour la « facilité »), il ne faut pas négliger le côté sombre de la chose. Accéder à ce confort doit pouvoir se faire uniquement avec la garantie d’une anonymisation des données récoltées et la certitude qu’elles ne seront pas utilisées par des organismes tiers à des fins mercantiles, finissant par nous enfermer dans une bulle nous privant de discernement et de certaines libertés. Des lois existent, mais comme jusqu’ici il a suffi de cliquer sur un simple « j’accepte » en fin de CGU, qu’on ne lit même pas le plus souvent, pour perdre ces droits face à de grandes entreprises, il y a fort à parier que l’histoire se répète une fois de plus. Juste parce qu’il sera plus facile de passer par des services tiers, gratuits, que nous finirons par payer d’une autre manière.
Pas de panique cependant, puisque les entreprises en sont encore au stade de la recherche du produit qui pourrait déclencher un véritable intérêt pour ces objets qui connecteront, in fine notre porte-monnaie. Ce fameux produit dont on ne pourra se passer, parce qu’on aura fini de nous en persuader…
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