Son dernier ouvrage, Soumission, vient de paraître comme vous ne pouvez l’ignorer. J’ai d’ailleurs eu toutes les peines du monde à ne pas lire ou écouter les commentaires polémiques qui ont envahi l’espace médiatique bien avant la sortie du bouquin afin de tenter de garder un regard objectif.
A la fin du second mandat de François Hollande, alors que s'opposent au deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen pour le Front National et Mohammed Ben Abbes le candidat modéré de la Fraternité musulmane, l’alliance entre les partis traditionnels, UMP, UDI et Socialiste, appelle au vote anti-FN. Ben Abbes est donc élu président et François Bayrou nommé premier ministre. François le narrateur, professeur de lettre à Paris III et spécialiste de J-K Huysmans, se retrouve confronté à la transformation de son université, à son éviction et à l’islamisation du pays.
Faut-il rappeler que Soumission est un roman, qu’un roman est une fiction et qu’une fiction est une création de l’imagination ? Oui, je le crois. J’ai à peine commencé ma chronique que déjà vous percevez mon agacement à devoir prendre des gants avant de m’exprimer. C’est déjà significatif de l’ambiance délétère qui règne dans notre pays et antérieure aux épouvantables évènements récents.
Qu’ai-je trouvé dans ce roman ? Tout d’abord, le Michel Houellebecq qu’on connait, l’écrivain français le plus moderne de notre littérature par les sujets abordés et sa manière toute personnelle de mettre le doigt où ça fait mal, tout en utilisant une langue très classique et soignée. Le début du bouquin et tous les passages consacrés à Huysmans, en fil rouge et écho à l’évolution du narrateur, Huysmans s’était converti au catholicisme, François se convertira à l’islamisme, sont particulièrement bien écrits et pour être franc, c’est ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage car j’ai crû y sentir le vrai Houellebecq, un homme désabusé fasciné malgré lui par l’appel de la religion, peut-être son seul espoir de se sortir indemne du cul-de-sac dans lequel il s’enferre. Mais c’est aussi l’écrivain aux descriptions claires, voire cliniques ou ressortant du genre mode d’emploi, tout comme celui qui lâche des réflexions déconcertantes comme « …une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel. »
On y lit aussi, comme dans ses autres livres, des réflexions outrageusement sexistes et sans ambiguïté qui font mal aux yeux et dont je m’étonne qu’on n’en fasse pas plus mention ; et du sexe triste autant qu’explicite. En fait, tout est triste chez Houellebecq car il ne connait pas les mots humanité ou empathie. Les rapports humains sont toujours appréhendés sous un angle abstrait ou intellectuel, au mieux ils sont sexuels, et c’est en cela que Houellebecq nous inquiète/nous dérange. Dans quel monde, parallèle au notre, vit cet homme ? Ici, seules quelques lignes consacrées à la dernière maîtresse de son père décédé, semblent être marquées par un peu d’humanité, « Chez cet homme âgé, ordinaire, elle avait su, la première trouver quelque chose à aimer. »
Aucun de ses personnages n’est sympathique, François est un solitaire (il n’a même plus de liens avec ses parents séparés) qui critique tout et tout le monde, le bon goût bourgeois et la pensée convenue, selon lui. Il est amorphe, mène une vie désincarnée, ne vote pas et se considère à peine comme Français « ce pays dont j’étais, de manière un peu théorique, citoyen », le genre à ricaner devant sa télé avec un plateau repas sur les genoux et deux bouteilles de bon vin à portée de main. « Je n’ai pas d’amis, c’est certain, mais en avais-je jamais eu ? Et à quoi bon, si l’on voulait bien y réfléchir, des amis ? » Quand on pousse la misanthropie à un tel degré, « L’humanité ne m’intéressait pas, elle me dégoûtait même, je ne considérais nullement les humains comme mes frères », tout raisonnement ou idée, émis par François (Houellebecq ?) perd de sa pertinence car bridée par sa vision erronée, ou du moins sujette à caution, du monde.
Et le racisme ? C’est ce que vous voulez savoir, c’est ce dont parle tout le monde même ceux qui n’ont pas lu le bouquin. Je n’emploierai pas ce mot. Ou alors par ricochet. Si d’imaginer que la France soit un jour dirigée par un parti islamique (femmes qui ne travaillent plus pour s’occuper des enfants et sortent voilées, polygamie et conversion à l’islam pour les fonctionnaires etc.) vous fait prendre en grippe les musulmans, alors oui, on peut dire que cet ouvrage est raciste. Mais au même titre que la littérature de SF des années cinquante avec ses invasions de Martiens étaient anticommuniste. Au contraire, et si on s’en rapporte au titre du roman, on peut y voir une dénonciation des soumissions des uns et des autres, individuelle et collective, ayant permis d’en arriver à cet état de fait. Ici, les universitaires et François à la fin, accepteront les gros salaires, la conversion et les mariages arrangés avec de très jeunes filles, pour être aux normes et réintégrer l’université.
Au final, un roman de Houellebecq plutôt moyen, de belles pages sur Huysmans, une idée de base réellement originale et qui prête à discussion mais aussi beaucoup de flou dans la partie politique-fiction (aucune opposition après l’élection ? que devient le FN ?) et un regard sur les femmes franchement intolérable. En refermant ce bouquin, je me suis senti conforté dans mon désir de république laïque, loin de tous les pouvoirs religieux – tous – et dans la confirmation que la démocratie est une chose fragile nécessitant une vigilance de tous les instants.
« Suave et ronronnant, son discours se poursuivit pendant une dizaine de minutes avant qu’on ne passe aux questions de la presse. J’avais remarqué depuis longtemps que les journalistes les plus teigneux, les plus agressifs étaient comme hypnotisés, ramollis en présence de Mohammed Ben Abbes. Il y avait pourtant, me semblait-il, des questions embarrassantes qu’on aurait pu lui poser : la suppression de la mixité, par exemple ; ou le fait que les enseignants devraient embrasser la foi musulmane. Mais après tout n’était-ce pas le cas, déjà, chez les catholiques ? Fallait-il être baptisé pour enseigner dans une école chrétienne ? En y réfléchissant je me rendais compte que je n’en savais rien, et au moment où s’achevait la conférence de presse je compris que j’en étais arrivé exactement là où le candidat musulman voulait me mener : une sorte de doute généralisé, la sensation qu’il n’y avait rien là de quoi s’alarmer, ni de véritablement nouveau. »