Il m'est arrivé sur ce blog d'affirmer que trop souvent les journalistes du vin écrivaient plus pour les producteurs et éventuellement leurs confrères que pour l'amateur de base lequel, lorsqu'il goûte un vin, n'a probablement pas l'approche "technique" de ces professionnels et recherche plus ce qui tient de l'émotion partagée.
On a eu l'occasion ici de citer les commentaires plus que remarquables d'OLIV sur les crus du Domaine de la Romanée-Conti qu'il a dégusté à la dernière édition du VDEWS. ICI . Ses commentaires sont probablement l'exemple même des informations pointues mais qui n'oublient jamais de communiquer le niveau d'émotion ressenti.
Là, j'ai sollicité d'un participant à cette session unique des Romanée-Conti et Montrachet, de me faire un petit rapport sur sa vision, sur son ressenti à cette dégustation. Il n'est naturellement pas du tout professionnel, juste amateur comme bibi et il est donc intéressant de lire sa façon de voir les choses.
Dégustation de vins du Domaine de la Romanée-Conti :Réflexions d'un néophyte
J'ai été invité à prendre part, le samedi 8 novembre 2014, à une dégustation de Grands Crus du Domaine de la Romanée-Conti (« DRC ») dans le cadre d'un Symposium international sur le vin qui s'est tenu, du 6 au 9 novembre, en Italie à la Villa d'Este sur les bords du Lac de Côme. Ce Symposium, organisé par M François Mauss, accueillait quelque 300 personnes, dont des professionnels du vin mais aussi de simples amateurs comme nous.
La Dégustation
La dégustation a eu lieu en présence de M Aubert de Villaine, associé-gérant de la DRC, et réunissait 50 participants (NDLR : en fait, il y avait 70 postes de dégustation). Elle s'est déroulée selon les règles de l'art et dans le plus grand silence.
Étaient proposés à la dégustation les Grands Crus suivants:
- Romanée-Conti 2001, 1991, 1971 & 1961
- Montrachet 2002, 1997, 1991 & 1982.
Romanée-Conti, un monopole de la DRC, est une appellation mythique mondialement connue. Pour un amateur comme moi, passionné de vin et notamment de Bourgogne, cette appellation occupe une place à part, elle fait partie de mon imaginaire bachique.
Montrachet est également un vin de grand renom. Celui produit par la DRC fait sans doute partie des plus grands vins blancs de France mais, à mes yeux, il n'a pas la dimension légendaire du Romanée-Conti.
Afin de préparer nos palais et notre mental, nous avons débuté l'expérience en goûtant deux autres Grands Crus de la DRC : Échézeaux 2006 et Romanée-Saint-Vivant 2006.
Toutes les bouteilles qui ont été consommées à cette occasion, provenaient directement des caves de la DRC à Vosne-Romanée.
Le Plaisir
C'était la première fois, le 8 novembre, que je goûtais les appellations Romanée-Conti et Montrachet de la DRC.
La dégustation des Romanée-Conti fut une expérience extraordinaire et unique, un rêve devenu réalité.
J'étais entouré d'experts et de connaisseurs venant d'horizons divers, tous plus compétents et sérieux les uns que les autres : un aréopage intimidant pour un simple épicurien. Toutefois, mon plaisir n'a pas été brimé par la gravité de l'exercice collectif de dégustation. Le plus difficile fut de rester calme et silencieux pendant toute la durée de la dégustation, car plus la jouissance bachique est grande, plus il faudrait pouvoir la partager dans la joie avec d'autres convives par un geste, un regard, un sourire, une parole.
Je n'ai pas « dégusté » à la manière des professionnels les quatre millésimes de Romanée-Conti qui nous étaient offerts. Je n'avais ni l'envie, ni les compétences pour cela. Non, j'ai bu ces vins en toute simplicité. Je les ai bus pour mon seul plaisir en me concentrant sur l'émotion qu'ils me procuraient. Autour de moi, les virtuoses de la dégustation professionnelle examinaient la robe, respiraient les parfums, goûtaient le vin, identifiaient les saveurs et analysaient le tout avec rigueur et diligence ; ensuite ils notaient soigneusement leurs constatations et la plupart recrachaient le vin. Pour ma part, après avoir humé leurs arômes subtils, j'ai bu ces grands vins avec gourmandise et jusqu'à la dernière goutte, sans rien recracher. J'étais comblé tellement les sensations étaient intenses et voluptueuses, sensations que je n'ai pas pris la peine d'analyser, ni de noter.
Les millésimes de Romanée-Conti que nous avons « dégustés », chacun à notre manière, certains avec plaisir, d'autres avec sérieux, ont fait l'unanimité : ils ont été jugés remarquables par les professionnels raisonnés autant que par les amateurs épicuriens. Je retiens des avis qui ont été exprimés après la dégustation, que nous étions plusieurs à primer le Romanée-Conti 1971.
Les millésimes de Montrachet qui nous étaient ensuite proposés, étaient aussi des vins manifestement extraordinaires et j'étais ravi de les découvrir. Mais je les ai goûtés avec moins de facilité et d'enthousiasme. Après les sommets de volupté que les flacons de Romanée-Conti venaient de me procurer et compte tenu des verres de vin que je venais de vider, il m'était difficile d'apprécier à leur juste valeur les Montrachet de la DRC ; mes sens étaient saturés.
Les vins dits de « mise-en-bouche », soit le Romanée-Saint-Vivant 2006 et l'Échézeaux 2006, étaient également splendides et délicieux, pleins de fraicheur et de jeunesse.
La Mémoire
Au fil des ans, j'ai eu l'occasion de déguster plusieurs vins de la DRC : La Tâche, Richebourg, Échézeaux, Romanée-Saint-Vivant, Corton et Vosne-Romanée 1er Cru. Ces grands vins ont toujours été à la hauteur de la réputation d'excellence du Domaine. Mais comment les comparer aux Romanée-Conti que j'ai goûtés le 8 novembre dernier ?
Je pense notamment à une bouteille de La Tâche 1999, offerte aussi par la femme de ma vie, qui fut servie il y a quelques années lors d'un repas familial. Cette bouteille, qui était tout simplement somptueuse, nous a réjouis et a sublimé notre repas. J'ai toujours cru qu'il s'agissait là du plus grand vin qu'il m'ait été donné de boire. D'aucuns considèrent que La Tâche, également un monopole de la DRC, se situe au deuxième rang dans la hiérarchie des vins de la DRC, venant juste après l'appellation Romanée-Conti.
Je suis aujourd'hui incapable de situer ce flacon de La Tâche 1999 par rapport aux quatre millésimes de Romanée-Conti (2001, 1991, 1971 & 1961) que j'ai goûtés le 8 novembre et ce, même si je garde en mémoire un souvenir sensoriel fort de ce La Tâche 1999. Les deux « dégustations » ont eu lieu dans des conditions différentes : la première il y a plusieurs années lors d'un repas convivial, la seconde en 2014 lors d'une séance de dégustation formelle et structurée. Or, il m'est impossible de rapprocher ces deux dégustations pour les mesurer, les confronter.
Je garderai donc un souvenir bachique et voluptueux de ce La Tâche 1999, sans pouvoir le comparer au rêve devenu réalité que constitue la dégustation extraordinaire des Romanée-Conti à laquelle j'ai eu la joie et le privilège de participer à La Villa d'Este le 8 novembre 2014.
Le Paradoxe
Je fais partie de ceux qui pensent que la place du vin est sur notre table et qu'il a donc pour fonction essentielle d'accompagner, de compléter les repas que nous partageons avec délices en famille ou entre amis. On dit fort justement qu' « un repas sans vin est comme un jour sans soleil ». Il faudrait ajouter qu'à l'inverse un vin sans repas est comme le soleil qui ne parvient pas à briller un jour de brouillard.
Par conséquent, selon moi le vin n'est pas vraiment à sa place dans les concours et les dégustations structurées, car il est en quelque sorte déraciné, arraché à son univers. Il est jugé dans l'abstrait, avec sagesse et raison, mais sans poésie, ni recherche de plaisir à partager, sans pouvoir tenir compte de sa fonction première qui est gastronomique et culturelle. En outre, l'ivresse, même mesurée et pourtant inhérente à cette boisson alcoolisée, est de fait bannie des exercices de dégustation ; or, sauf à faire preuve d'hypocrisie pudibonde, il faut bien reconnaître que la consommation de vin, c'est-à-dire la finalité même des exercices de dégustation, est forcément inconcevable sans un minimum d'ivresse.
Néanmoins, j'avoue volontiers que la dégustation du 8 novembre à la Villa d'Este, malgré son caractère raisonnable et rigoriste, fut paradoxalement une expérience exceptionnelle qui m'a permis de découvrir et apprécier sereinement l'appellation mythique Romanée-Conti au terme d'une authentique émotion bachique.
Ce 8 novembre 2014 fut un grand jour.