On a dû se mettre debout derrière nos chaises et faire silence parce des gens ont été tués avec des fusils à leur travail qui était dessiner.
J’aurais aimé attendre un peu avant de te parler de tout ça. Que retombe l’émotion – pas l’indignation. J’aurais aimé te le dire avec mes mots. Te dire ce que moi j’en pense, quand j’aurai pris assez de distance pour savoir moi-même quoi en penser exactement. Tu as six ans, il n’y avait aucune urgence pour t’apprendre la barbarie.
J’aurais aimé attendre, pour pouvoir t’expliquer qu’on croit tellement, en France, qu’on peut rire de tout, et que tout le monde pense –ou doit penser- comme nous, qu’on en oublie que certains – quels qu’ils soient – ont mal quand on se moque d’eux. Et que c’est naturel, humain, compréhensible. Même si rien ne justifie la violence.
J’aurais aimé attendre, et te dire tout ça moi-même, avec mes mots, parce que je connais tes peurs.
J’aurais aimé que tout ça décante un peu, ne plus entendre n’importe quoi, réactions épidermiques livrées brutes, prendre le temps de poser les mots justes, avec toute la distance nécessaire.
J’aurais aimé attendre, pour être bien sûre que tous ces gens dans les rues n’auront rien oublié de leurs jolies promesses demain et que le monde dans lequel tu grandiras sera fait de tolérance, que demain tu n’entendras pas à nouveau que tout cela est de leur faute, qu’ils sont trop nombreux, et puis, ils ne vivent, ils ne pensent, ils ne mangent pas comme nous. Que demain les portes de partout ne leur seront plus fermées rien que sur base de leur nom qui respire le soleil et la terre rouge, et qu’on respectera leur différence sans chercher à l’annihiler. Qu’on se rendra compte que l’autre n’est pas soi, et que c’est ça aussi le respecter.
Je ne t’aurais rien caché. Mais j’aurais voulu attendre et te protéger des idées toutes faites, des réponses trop rapides. Connaître ce que ta maîtresse allait te dire, toi qui, à six ans c’est normal, bois chacune de ses paroles. J’aurais aimé parler avec toi plutôt que de t’imposer le silence. Mais apparemment, il était urgent de ne te projeter dans cette réalité de grands. Mais tu sais, ce serait trop facile de croire que dans ce monde, il y a d’un côté les bons, et de l’autre les méchants.