Aussi longtemps que les attentats ont eu lieu chez les autres, on s'est contenté de les déplorer et de trouver que le monde était vilain. C'est un vieil adage qui affirme que l'on attend toujours que soit tombée la catastrophe pour prendre les justes mesures et avoir les bons sursauts.
Nous sommes bien dans ce schéma. Par le carnage dont il a été victime, Charlie Hebdo, journal laissé au bord de la faillite par des lecteurs désintéressés et hautains, et aux yeux desquels la paillardise de la revendication occultait la vraie quête libertaire qui lui donnait tout son sens, Charlie Hebdo, donc, est devenu à son corps défendant l'étendard sanglant et glorieux de la liberté de la presse.
Combien de journaux se voulaient des parangons de liberté éditoriale et d'expression politique? Pourtant, Charlie Hebdo est le seul qui ne s'auto-censurait pas, le seul vrai libertaire totalement assumé, et c'est lui qui a payé.
Il y a huit ans que sa rédaction était sous protection policière, huit ans qu'on savait, et huit ans qu'on le regardait de haut comme un foyer de potaches qui se tenait à l'écart des people en cravate et des pince-fesses parisiens.
Oui, bien sûr, nous sommes tous Charlie, mais c'est tout de même un peu tard. Et il a également fallu qu'un attentat anti-sémite se déroule dans le sillage de ce massacre pour que son traitement accède au statut d'événement politique national.
Mais toutes les négligences qui ont conduit à cette semaine dramatique qui a noué les tripes de tout le peuple français ont provoqué chez lui un sursaut salutaire. Était-ce le prix à payer ? La journée d'hier est entrée dans l'histoire, alors tirons en maintenant les conséquences positives sans trop épiloguer.
Certes, parmi les chefs d'état qui sont venus se montrer aux côtés de François Hollande, on en comptait un quarteron qui était bien peu soucieux de la liberté de la presse et de la liberté d'expression dans leurs propres pays. Venir la défendre chez nous leur permettait à bon compte d'en afficher le scrupule sans la pratiquer chez eux. Certes, on a aussi fait défiler presque côte à côte un Israélien et un Palestinien. Est-ce que cela les dissuadera de se regarder à nouveau par le collimateur de leurs machines de guerre sitôt rentrés chez eux ?
C'est à nous de transformer toutes ces pieuses prémisses en réalités de demain. Tous les Français ont été Charlie, flics, musulmans et juifs le temps d'une belle journée. Jusqu'à la prochaine injure raciste ? Jusqu'au prochain procès intenté à un journal ? Jusqu'au prochain car de police caillassé ? Jusqu'au prochain lieu de culte attaqué ?
Il faut transformer cet essai. Je reconnais à ce gouvernement, dont j'ai pourtant ici même tancé la tiédeur et critiqué les options de s'être montré, dans ces circonstances, juste et à sa place, avec des réactions et des déclarations appropriées. Même Valls, qui a une certaine propension à provoquer chez moi des crises d'urticaire, a prononcé deux allocutions, dont une à Evry, dont la justesse et la fermeté méritent toutes les éloges, y compris les miennes...
Le peuple français s'est retrouvé hier, toutes diversités non seulement confondues, mais unies, dans une manifestation aux exaltations inspirées. Fusaient de partout des salves d'applaudissements, des Marseillaises, des accolades fraternelles. Le peuple français est grand, il a tort de ne le montrer que dans de si graves circonstances. Il peut l'être tous les jours, et maintenant, il doit l'être tous les jours.
Gaussons nous du triple flop de Marine dans cette affaire. Sa dénonciation initiale d'attentat islamiste est remarquablement tombée à plat le jour de l'attentat, dans un mélange de silence gêné et de mépris glacial. Alors qu'il lui aurait suffi de demander à ses électeurs d'écouter leur civisme pour se joindre ou pas, en tant que citoyen, à une manifestation dont les aspirations patriotiques faisaient douloureusement concurrence à sa propagande éhontée, elle a voulu y aller toutes bannières brandies. Du coup, elle n'y est pas allée. Agitateur permanent des haines communautaristes, son parti ne représente pas la République, qui est un ciment d'union et d'intégration. Autant de choses qui lui sont insupportables. Du coup, elle est allée manifester dans une bourgade du Gard, à Beaucaire, pas loin de Tarascon, patrie de Tartarin.
Et pendant que quatre millions de Français défilaient dans la fraternité et l'allégresse à travers tout le pays, elle a réussi, elle, dans un village gaulois de 15 000 habitants, à fomenter une manif où on n'a pas entendu un seul " Je suis Charlie ", mais seulement des " Vive Marine ", où des journalistes ont été conspués et quelques opposants pris à partie.
Je ne sais quel humoriste digne de Charlie a écrit que, fort heureusement, on n'avait pas tué Zemmour : tu te rends compte s'il avait fallu défiler avec des " Je suis Zemmour " autour du cou !
Tu me diras : risque-t-il vraiment quelque chose ? Quand un dictateur veut prendre le pouvoir quelque part, c'est aux intellectuels et aux artistes qu'il s'attaque en premier. Ceux qui détiennent le savoir... Alors, finalement, Zemmour ne risque pas grand-chose. Il n'y a que les nazis pour s'être attaqués aux handicapés. Si les islamistes radicaux s'attaquaient aux cons, ce serait du cannibalisme.
Dénonçons aussi au passage le principe de " l'édition spéciale " des chaînes de radio et de télévision, qui consistent en un rabâchage continu des événements, les terroristes ne daignant pas tirer suffisamment de rafales pour remplir des heures entières d'antenne assoiffée. Alors on montre, on remontre, on re-remontre, on rappelle, on fait un résumé. Au bout de quelques heures, et tous les programmes montrant les mêmes images, on n'en peut plus, on est saturé, agacé. On en veut au monde entier, non pas pour les horreurs qu'il nous sert, mais pour la course à l'audimat que les médias en font. Que les chaînes d'information continue fassent leur boulot de redondance, et que les autres chaînes continuent leurs programmes normaux, avec au plus un communiqué aux moments critiques. Il est bien suffisant de devoir subir des drames une fois, il devient insupportable de les voir tourner en boucle toute la journée.
Bon allez : assez rouspété. Au travail. Les ingrédients sont sur la table d'une France réunie, cohérente, capable de rassembler des forces de vrai progrès au lieu de se déchirer dans des querelles de village et de trottoir. A nous de jouer, maintenant.