La preuve que non : je n'ai pas ressenti avec Un hiver à Paris un plaisir de lecture comparable aux trois précédents. Je sais que c'est sans doute le livre le plus personnel qu'il ait écrit et il mérite davantage que du respect. Je n'ai d'ailleurs absolument aucune critique à formuler sur la forme. Il se trouve que le sujet ne m'a pas touchée autant que les autres. Peut-être parce que l'approche et le point de vue sont au final assez masculins, et que je ne me sois identifiée à aucun des personnages principaux.
Jeune provincial, le narrateur (Victor) débarque à la capitale pour faire ses années de classe préparatoire. Il va découvrir une solitude nouvelle et un univers où la compétition est impitoyable. La seule personne avec qui il noue un début de relation est un provincial comme lui, mais moins résistant. Un jour, Mathieu craque en plein cours, sort en insultant le prof et enjambe la balustradeJe revenais de Biscarosse. Je partais pour un autre bord de mer. Le Paris où j'ai vécu et où j'ai déployé mes ailes n'a rien à voir avec l'atmosphère étouffante de la classe préparatoire où s'est nouée le drame que l'auteur explore.
D'autres images, d'autres phrases ont fait collusion. J'ai souvent pensé à Annie Ernaux dont chacun de ses livres exprime plus ou moins cet état si particulier qu'on peut ressentir quand on évolue dans un milieu social différent de celui de nos parents. Des sentiments forcément contradictoires et déstabilisants.
A la honte, (Jean-Philippe Blondel l'emploie page 152) il ajoute en miroir la situation inverse : se sentir plus proche d'un étranger que d'un membre de notre propre famille, même si cette autre personne appartient au même monde que celui de nos origines. Tout cela devrait me questionner. Disons que je suis peut-être en ce moment dans des interrogations personnelles qui me submergent trop pour être disponibles à celles des autres.
C'est bien la preuve qu'il y a de l'universel dans le traumatisme que l'auteur place au coeur du roman. Combien sommes nous à être nés dans un milieu où la communication n'est pas un point fort (p. 24) et où rien n'est plus important que de faire comme si tout est normal (p. 119) en s'illusionnant que nier les problèmes puisse les faire reculer ?
Surtout quand on ajoute la méconnaissance des codes sociaux et culturels. Ils manquent à Victor aussi sur le plan linguistique et même vestimentaire.
Dans un premier temps Victor, jeune étudiant, renonce à surmonter ce qu'il vit comme un handicap (et qui en est bien un de taille même si ses parents-de papier- lui ont tout de même fait un cadeau formidable en lui donnant ce prénom prémonitoire d'un succès à venir). Il préfère occuper la position strictement opposée en travaillant l'été dans un hypermarché où ce sera lui qui apparaitra comme "supérieur" à ses collègues.
Vient le moment où il faut replonger dans la nouvelle réalité, un peu plus endurci pense-t-on. Avec une maturité et une lucidité qui permettront cette fois de faire face. Avec aussi un peu de légèreté, quitte à être traité d'inconséquent (p. 255) alors que rien ne s'efface. Les derniers chapitres sont exemplaires à cet égard.
Victor aura été perçu comme l'ami. Ce nouveau statut l'aura rendu populaire et lui aura ouvert les portes des soirées. Parallèlement le père de l'étudiant suicidé aura hanté les cafés pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. A l'ébauche d'une relation entre Victor et Mathieu aura succédé une autre ébauche, entre un faux père et un faux fils qui tous deux avaient besoin l'un de l'autre pour traverser une épreuve. Jean-Philippe Blondel aura exploré le territoire du malentendu. J'espère qu'il ne s'en glissera pas entre nous.
Un hiver à Paris de Jean-Philippe Blondel chez Buchet Chastel, publié le 2 janvier 2015