Question de hasard ... si on veut. Il y a des auteurs dont l'écriture est autocentrée et d'autres qui livrent des récits excentrés. Et cela n'a rien à voir avec le sujet. On peut très bien s'inspirer de faits autobiographiques et en extirper ce qui s'y loge d'universel comme le fait par exemple Jean-Philippe Blondel. Ce sont les meilleurs romans.
Ce titre, le Meilleur du monde, a été choisi en référence à Aldous Huxley, et en réaction, puisque Virginia, pardon Jeanne (espérons que le personnage n'est pas l'auteur, même si l'inverse est sans doute vrai), va rencontrer dans un amour de jeunesse la quintessence d'une sorte de bonheur : je suis la seule femme sur terre et Christophe est le nom et le visage du meilleur au monde.(page 99)
Jeanne a bientôt quarante ans. Elle est mariée avec Nicolas depuis presque vingt ans et vit à Paris où elle est journaliste. Elle est cérébrale, rationnelle, ambitieuse, soucieuse des apparences et impassible. En réalité, elle souffre et elle s’ennuie. La vie lui paraît fade et le vrai bonheur hors d’atteinte. Un soir d’été à Sète, elle retrouve Christophe, son amour de jeunesse. Instinctif, sensuel, dilettante, rebelle, insouciant, il est son contraire.Pourtant c’est le coup de foudre. Pendant quelques mois, Jeanne vit enfin en osmose avec elle-même et avec le monde. Au nom de la promesse d’une vie enfin rayonnante et vibrante, elle décide alors de tout quitter. Mais le merveilleux peut-il durer ?Le thème peut faire débat. Rien ne dit que cet état heureux durera bien longtemps. La fin est, à cet égard très ouverte.
Dans la première moitié du roman Jeanne se plaint qu'il ne lui soit rien arrivé. Elle désigne par là "ces malheurs et drames qui font avancer". Comme si le lecteur pouvait la consoler d'avoir tout pour être heureuse selon l'expression consacrée. Et ce n'est pas en argumentant qu'elle n'a pas appris le plaisir qu'elle va gagner notre compassion.
Si Virginia Bart avait écrit à la troisième personne j'aurais pu admettre. Mais son "je" n'est pas anodin. Ce livre m'a bousculée par l'enchainement de certitudes plus raides les unes que les autres. Quand bien même Jeanne ne serait pas l'auteure il y a dans son profil beaucoup d'éléments qui font penser à elle, comme cet article publié dans Libération il y a pile 4 ans, commençant par une volée de bois verts à propos de la formulation rituelle des voeux ... rageant contre la vitalité des sexagénaires. Comme c'est petit !
Jeanne (ou Virginia avant elle) séduit son amoureux de jeunesse en lui envoyant copie d'une tribune publiée dans un journal prestigieux (Libé donc) tout en glissant au lecteur la confidence (est-elle nécessaire pour faire progresser l'action ?) qu'écrire sans fautes demandait à Christophe un véritable effort (page 78).
Elle a beau jeu d'avouer (page 95) qu'elle est l'ambition personnifiée, cela ne me la rend pas plus sympathique. L'expression d'un désir d'enfant et d'un rejet de la maternité n'est pas très clair et sa découverte (page 120) de l'amour inconditionnel n'est pas davantage convaincante.
Je ne la cautionne pas davantage quand elle présente d'entrée de jeu (page 26) Jeanne debout sur les tables d'un bar de nuit (...) chargée d'alcool et de cocaïne comme il convient à une personne travaillant dans le domaine des médias et affichant un vernis décadent de bon ton. Elle croit bon d'ajouter : je suis de ceux qui ne se satisfont de rien. Plus loin elle assène qu'elle déteste le réel. Pas étonnant que celui-ci se venge en lui rendant la monnaie de sa pièce.
Je mettrai néanmoins à son crédit une fine analyse des rapports dominants/dominés et un mode opératoire efficace. Espérons qu'après encore un ou deux livres Virginia Bart aura purgé ses démons et qu'elle réussisse à conquérir une vraie liberté d'écriture.
Le meilleur du monde de Virginia Bart chez Buchet Chastel, janvier 2015