d'après RÊVES de Maupassant
C’était après un diner d’amis,
Un diner de vieux amis.
Ils étaient cinq : un écrivain,
Trois musiciens et un médecin.
Ils avaient beaucoup discuté.
Une lassitude commençait à en résulter,
Cette lassitude qui décide,
Après les agapes, des départs rapides.
-« Du matin au soir,
Les jours sont un désespoir. »
Dit le médecin.
-« Les nuits aussi », ajouta son voisin.
-« Ah ! Si l’on pouvait dormir,
Sans avoir ou chaud ou froid, dormir,
Dormir sans rêves ! »
-« Pourquoi sans rêves ? »
-« Car les rêves
Sont invraisemblables
Et rarement agréables.
On ne peut savourer les meilleurs
Qu’en étant sorti de sa torpeur. »
-« Qui vous en empêche ? »
Interrogea l’écrivain, d’une voix sèche.
-« Pour rester les yeux ouverts
Il faut de la volonté et du caractère.
Partant, on est vite épuisé.
Or, vous promener dans vos pensées,
Avoir de charmantes visions,
De délicieuses satisfactions,
Je peux vous les proposer
Mais jurez de ne pas en abuser. »
Précisa d’un air compétent
Le médecin en se levant.
L’écrivain ironisa : « j’ai expérimenté
Le haschich et l’opium ; oui, j’y ai goûté ! »
Le médecin se rasseyait :
-« Et l’éther, avez-vous essayé ?
J’en fais parfois la prescription.
Il faut une certaine adaptation
Pour en ressentir l’agissement.
L’éther étant différent
Des autres médecines,
Haschich, opium, morphine...
Son effet s’interrompt
Quand on cesse son aspiration.
Les autres restent actifs des heures.
Si vous avez de vives douleurs,
Ouvrez un flacon d’éther,
Respirez
Comme si vous aspiriez de l’air
Et vous constaterez
Que vos douleurs vont cesser.
Vous resterez éveillé.
Vous continuerez
De comprendre, de raisonner.
Mais vous ne rêverez pas comme
Si vous aviez pris
Du haschich ou de l’opium. »
Aussitôt, chacun des quatre amis
Lui demandèrent
La prescription d’un litre d’éther.
Mais le médecin leur dit au revoir
Et sortit dans la nuit noire.