L'art aborigène contemporain porte une attention particulière à l'attachement au territoire, à sa lecture, à la préservation discrète des signes sacrés, camouflés derrière des points ou des pigments. Les premières peintures "modernes" doivent passer devant le cercle des anciens pour obtenir un aval avant d'être proposées sur le marché de l'art.
L'art aborigène a progressivement cédé la place à des œuvres plus pérennes et innovantes. La grammaire picturale classique des rêves et représentations a offert de nouveaux terrains d'exploration et de créativité aux artistes grâce aux nouveaux supports (toile de lin, verre, bronze…) et matériaux (aquarelle, acrylique, film PVC pour protéger les pigments naturels des écorces peintes). L'époque contemporaine a favorisé la naissance d'individualité chez les artistes aborigènes. De nouveaux styles bien identifiables sont apparus. Contrairement au passé, à la lecture d'une toile il devient évident que celle-ci est l'œuvre de tel artiste ou de tel autre. Le marché de l'art mise sur ces individualités et invite les peintres à signer leurs créations d'une écriture hésitante ou d'une simple croix, une photo numérique attestant de temps à autre de cet acte.
Nellie Marks Nakamarra
En 1934, le peintre australien Rex Batterbee enseigne à plusieurs autres artistes aborigènes, dont Albert Namatjira, lors de la mission Hermannsburg, la peinture de paysages à l'aquarelle dans le style occidental. Ce genre devient populaire, et il y eut des expositions à Melbourne, Adelaide et d'autres grandes villes.
En 1966, un dessin de David Malangi est utilisé sur les billets australiens d'un dollar, au départ sans qu'il le sache. Le paiement qu'il reçoit de la Reserve Bank en compensation en fait la première affaire de droits d'auteur aborigène de la loi australienne.
En 1971-1972, le professeur d'art Geoffrey Bardon encourage les habitants aborigènes de Papunya, au nord-ouest d'Alice Springs, à transposer leurs mythes sur le Temps du Rêve sur toiles. Le style utilisé finit par devenir le plus reconnaissable de la peinture aborigène (la peinture « à points »). Beaucoup des peintures aborigènes que l'on trouve dans les boutiques de souvenirs montrent l'influence de ce style développé à Papunya. L'artiste le plus célèbre de ce mouvement est sans doute Clifford Possum Tjapaltjarri, ainsi que Johnny Warangkula.
En 1983, les Aborigènes Warlpiris, à Yuendumu, se mettent à peindre les 36 portes de l'école de la ville d'histoires tirées de ce mythe, et commencent ainsi un mouvement artistique. En 1985 l'association d'artistes de Warlukwlangu est fondée et coordonne les peintres des environs. Paddy Japaljarri Stewart est le peintre le plus célèbre issu de cette époque.
Paddy Japaljarri Stewart
En 1988, un mémorial, le Torres Strait Islander, est ouvert à la National Gallery of Australia à Canberra. Fait de 200 cercueils de bois similaires à ceux utilisés pour les cérémonies mortuaires sur l'île d'Arnhem, il commémore les victimes aborigènes durant les conflits lors de la colonisation. 43 artisans y ont contribué.
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les travaux d'Emily Kame Kngwarreye gagnent en notoriété. Malgré toute sa vie passée à travailler dans l'art et l'artisanat, elle ne connaît la popularité qu'à l'âge de 80 ans. Ses travaux sont souvent perçus comme un mélange d'art aborigène traditionnel et contemporain. Sa nièce Kathleen Petyarre est une des plus importantes parmi les artistes aborigènes vivants.
De nombreux autres artistes continuent d'émerger des différentes communautés aborigènes. Ils utilisent d'un côté des codes couleurs plus audacieux, offerts par leur nouvel environnement sur les côtes australiennes. Les Aborigènes ont en effet progressivement quitté le bush central aujourd'hui de moins en moins habitable en raison de l'assèchement progressif des nappes phréatiques du désert. Ainsi des pigments plus "osés" invitent à ré-interpréter les rêves des anciens avec les teintes des fleurs, des algues, de l'écume de l'océan qui rappellent également si bien celle des lacs salés au cœur du continent. La communauté de Bidyandanga près de Broome joue par exemple un rôle précurseur dans cette dynamique de créativité et de rupture.
Sur les terres de Maningrida, de nombreux artistes conservent et transmettent la mémoire des mythes au travers d'œuvres de plus en plus codifiées et abstraites. Les créations de John Mawurndjul inspirent toute une nouvelle génération et résonnent bien au-delà de l'Australie comme sur les plafonds de la librairie ou sur une colonne du Musée du Quai Branly, peintes par l'artiste.
John Mawurndjul
Jeunes ou moins jeunes, les artistes aborigènes n'oublient pas leur rôle pédagogique et enseignent aux plus jeunes l'art de peindre. Il s'avère aujourd'hui bien souvent comme un des seuls vecteurs naturels permettant aux jeunes générations de trouver une place dans la société.
L'art aborigène reste le témoin d'une culture fragile. Autour des années 2000, les anciens à l'origine de cette renaissance artistique continuent de s'éteindre et la relève des jeunes générations s'avère bien timide. Pourtant les artistes du bush portent en témoin les mythes de leurs ancêtres, d'une des dernières cultures nomades de chasseurs-cueilleurs, comme un chaînon manquant avec nos origines.
D'après Wikipédia