Le tropisme américain de
Gilles Leroy le tire du côté des Etats du Sud. Alabama Song, prix Goncourt 2007, l’y amenait sur les traces de
Zelda Fitzgerald. Zola Jackson
plongeait dans le tohu-bohu de l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans. Cette
fois, c’est Nina Simone, roman,
titre qui revendique la part de fiction, avec en personnage principal la
chanteuse née en Caroline du Nord en 1933. Mais, au moment où se déroule le
récit, elle est vieille et malade dans un autre Sud, en France, où elle
terminera sa vie en 2003.Ricardo, une jeune
Philippin, est le témoin de cette dernière époque. Il a été engagé pour faire
les courses et le ménage. Sa motivation n’est pas totale et, au village, on a
tout fait pour le décourager : « N’allez
pas là-bas, lui ont dit les gens du village à qui il demandait son chemin. Elle
a le Mal en elle et personne ne sait si c’est le diable ou simplement qu’elle
est dérangée du cerveau. On prie pour qu’elle déménage. » La grande
dame en son déclin est parfois pathétique. Elle reste pourtant un personnage
hors du commun, dont le romancier fait une figure de légende abîmée par le
temps, c’est-à-dire aussi une femme avec ses nombreuses cicatrices et ses
souvenirs glorieux. Elle a voulu occuper une place qui n’existait pas : « J’invente la musique classique noire »,
explique-t-elle à un journaliste qui essaie de coller une étiquette sur sa
musique…Au fil des jours, elle
confie à Ricardo, pour qui elle éprouve une véritable affection, des pans
entiers de son histoire. Elle pique, par intervalles irréguliers, de terribles
colères que l’on pourrait graduer « un
peu comme l’échelle de Richter mesure les séismes sans les prévenir. »
Elle remonte sur scène. Un peu. Difficilement. La fatigue est immense, les
massages ne la soulagent plus. Et c’est peut-être là qu’elle est la plus belle,
dans sa monstruosité et son orgueil, dans son abandon et sa volonté, assumant
toutes les contradictions de celle qu’elle est devenue.Bien sûr, il s’agit d’un roman. Mais il nous
conduit au plus près de son héroïne.