2015 s'annonce sous d'étranges auspices, graves et angoissants.
J'avais décidé de publier ici un texte, pour la nouvelle année, comme je l'ai déjà fait à ce moment précis. Et puis il y a eu le drame. National. Ces quelques jours éprouvants pour tous, qui ont provoqué un sursaut général. Qui nous ont fait réaliser que ce qu'on tient comme acquis doit aujourd'hui encore être défendu, que l'évidence républicaine n'en est pas une pour tous et que la barbarie ne se tient pas si loin de nous qu'on l'imaginait jusqu'ici.
Lors de mon retour à Paris, après ma courte escapade hivernale du côté de la Hongrie, je suis tombée sur un texte signé Anne Maurel, dans le magazine d'Air France mis à disposition des voyageurs. Alors que je feuilletais l'ouvrage dont le contenu est essentiellement à vocation publicitaire, quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur cette ode à la légèreté qui semblait m'attendre et est venue me conforter dans l'idée que le meilleur pour moi sera cette année, comme les précédentes, de tenter de rester le plus loin possible de la gravité. Sous toutes ses formes.
La publication de ce texte était prévue pour le 8 janvier mais compte-tenu des évènements je l'ai annulée. Besoin de réfléchir un peu à la pertinence d'une telle publication dans ce contexte si particulier.
Ce n'est pas toujours évident et -en ce moment en particulier- de prôner la légèreté tant il me semble difficile de ne pas se sentir plombé.
Mais je crois, au plus profond de moi, que la légèreté doit toujours l'emporter.
D'une certaine manière, Charlie Hebdo oeuvrait pour ça.
En réussissant à faire rire à partir d'un quotidien sinistre et angoissant, en osant dépasser les limites que certains avaient fixé pour eux, les journalistes de Charlie parvenaient à alléger la charge émotionnelle quotidienne. Frondeurs, ils produisaient un contenu qui, loin d'être dépourvu de sens -au contraire-, adressait des pieds de nez permanents aux extrémistes de tous bords. Aucun n'y a échappé.
Alors oui, peut-être convient-il de publier malgré tout ce texte, aujourd'hui.
Au quotidien, il appartient à chacun de rester léger.
En se tenant loin de la toxique proximité de ceux qui fonctionnent en cultivant le pragmatisme forcené et ne laissent aucun espace à la rêverie et au badinage, par exemple. Quelles que soient les circonstances. Par exemple.
Je ne résiste pas à la tentation de présenter ce texte ici, le voilà (initialement publié sur Instagram j'ai reçu plusieurs messages me demandant de le partager dans son intégralité, c'est chose faite):
"A trop la confondre avec l'inconstance, on oublie souvent que la légèreté peut aussi confiner à la grâce. Être ou se sentir léger, c'est avoir la sensation quasi miraculeuse d'être délivré du sol, et plus proche du ciel. Avec des sens plus aiguisés et moins avides, qui font choisir l'effleurement plutôt que la prise. On a cessé de vouloir saisir, tenir et retenir; mordre dans la réalité. On préfère la toucher du bout des doigts en se rendant sensible à ce qu'elle a de plus ténu.
Un air de piano entendu en marchant, venu par une fenêtre ouverte derrière laquelle se tient une jeune fille dont on ne verra jamais le visage; la finesse d'une dentelle, appelée au XIXème siècle frivolité; la délicatesse d'ornements inutiles; des effluves sur un chemin; un vol d'hirondelles; les charmes d'un instant; tout ce que le monde offre de beautés passagères se révèle alors susceptible de nous séduire, sans éveiller notre désir de possession.
Cet état de grâce que nous avons atteint sans nous y être efforcés - la légèreté est une disposition- et qui nous exempte, momentanément au moins, des lois de la gravité, des obligations et du sérieux de notre vie quotidienne, rend aussi plus gracieux chacun de nos gestes, notre démarche et notre conversation. Quand nous nous sentons légers, nous sommes déliés, subtils, agiles et détachés, futiles, nous amusant d'un rien, prenant plaisir au mouvement rapide des pas, ou des mots. La marche a des allures d'une danse, ou presque. La conversation glisse d'un sujet à l'autre, et n'appuie pas.
La légèreté est un art de la surface et de l'instant, qui répugne aux profondeurs, préfère l'esquisse au dessin, l'ébauche à la conclusion, le flirt à l'engagement. Il est difficile ce la condamner sans l'envier, au moins un peu. Ne dit-on pas d'hommes ou de femmes aux moeurs légères qu'ils papillonnent?"
Bonne année à toi, lecteur, qu'elle te soit légère et douce. Autant que possible.
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