Ainsi, en 1992, Charb se retrouve carrément à table avec Cabu et Philippe Val, qui viennent de se faire virer de la Grosse Bertha pour imaginer le nouveau Charlie Hebdo. Il en deviendra directeur de la publication en mai 2009, au départ de Val. Charb est mort, hier. Cabu avec. Flingués. On est tous abattus. Tirer sur le satirique, c’est tirer sur la liberté. Charb, tiraient des traits. Des traits pour faire naître ses personnages à gros nez qui, en quelques minutes à peine, vous livrent une information et une analyse sur une actualité, sur la société. Citoyen, dessinateur, journaliste, engagé. En 2010, il accompagnait la grande campagne de l’Humanité contre une énième réforme des retraites engagée sous Sarkozy en signant la une.
À la Fête de l’Humanité, c’est entouré de deux policiers qu’il tenait le stand de Charlie Hebdo ces dernières années. Sa personne et le journal étaient régulièrement menacés depuis 2006, après avoir publié les caricatures de Mahomet. En novembre 2011, le journal a brûlé. « On n’a pas trouvé les incendiaires… On n’a pas renoncé à traiter de l’islam, ni des autres religions comme le sport ou Johnny Hallyday », assurait le directeur de Charlie. Maurice, le chien anar et Patapon, le chat libéral sont à poil. Leur papa ne chaussera plus ses grosses lunettes. Ne sortira plus son équerre pour tracer des cases. Des enfants en short et enrhumés, il n’en aura pas eu. Aussi athée que libertin. L’irrévérence poussée jusqu’à continuer à écouter les Dead Kennedys, pionniers du punk US, dans sa garçonnière parisienne.
Vivre libre ou mourir? Charb, compagnon de route des communistes et du Front de gauche, est mort libre. Rien lâché. Rien renié, jamais, de ses engagements. Au-delà des luttes politiques, sa lutte contre la clope était l’une de ses lubies, qui le rendait créatif à souhait. On ne pourra pas dire qu’il a cassé sa pipe. Il a été assassiné. «Je n’ai pas l’impression d’égorger quelqu’un avec un feutre», se défendait-il face aux brandisseurs de blasphèmes qui ne le lâchaient plus. Physiquement, il n’était pas connu du grand public. Il pouvait se balader sur les hauteurs de Belleville comme dans les allées bondées de la Fête de l’Huma sans se faire photographier tous les dix mètres. Mais, quand quelqu’un le présentait à des potes, immanquablement, cela finissait par quelques croquis dans la poche. Ce Stéphane, là pour Franck Vandecasteele, ex-chanteur de Marcel et son Orchestre et chanteur compositeur du groupe Lénine Renaud, c’était «un mec qui avait de l’épaisseur, des convictions, profondément en éveil, qui dépensait une énergie folle pour faire vivre le journal». Charb s’était promis de réaliser avant mars un dessin animé sur un des titres du prochain album du groupe, intitulé le Visage de dieu. Vindieu! Faire vivre son journal du mercredi, c’était son lot. «Charlie est tout juste à l’équilibre, une augmentation des tarifs de distribution mettrait en péril sa viabilité», craignait-il, fustigeant le «désengagement de l’État» en matière d’aides à la presse.