L’avènement du roi Louis-Philippe permit à Stendhal d’obtenir le poste de Consul de France à Civitavecchia (1831), poste qu’il occupera jusqu’à sa mort. Il s’ennuie et écrit infatigablement mais ne peut pas publier à cause de sa charge officielle. C’est lors d’un congé de trois ans à Paris (mai 1836- juin 1839) qu’il publia Les Mémoires d’un touriste (1838), La Chartreuse de Parme (1839), et les principales Chroniques italiennes.
Etrange ouvrage à plus d’un titre que ces Mémoires d’un touriste. D’abord, il s’agit plutôt d’un Journal où l’écrivain consigne au jour le jour, donc à chaud, ce qu’il voit, ce qu’on lui raconte, ce qu’il pense, sautant du coq à l’âne comme on le fait dans ce genre de manuscrit. Par ailleurs, à le suivre on attrape un peu le tournis, parti de la région parisienne, il descend vers Lyon, Avignon avant de remonter vers Bourges, Nantes, Lorient, Granville puis redescendre sur Nîmes avant d’atteindre Briançon, Grenoble.
Mais, où le bât blesse pour le lecteur, c’est que le bouquin de Stendhal est complété d’un impressionnant dossier comprenant de la documentation annexe et une préface de Dominique Fernandez qui nous en disent beaucoup sur le contenu de ces Mémoires et ces révélations laissent un goût amer : le célèbre écrivain n’est pas allé dans toutes les villes dont il parle, ses (trop, pour moi) longs commentaires architecturaux sont piqués dans des ouvrages de Mérimée ou régurgités un peu lourdement de ses enseignements, d’autres théories sont recopiées dans des bouquins écrits par d’autres… Et même sur la forme, ces Mémoires identifient Stendhal comme un commerçant en fer voyageant pour son métier, sans qu’on sache très bien pourquoi ce subterfuge ?
Entre bourrage de mou et gentil plagiat, il n’en reste pas moins de bien belles pages à l’écriture irrésistible, malgré les longueurs déjà évoquées. Et si l’on n’est pas toujours d’accord avec lui, on lira avec intérêt ou circonspection ses considérations sur le mariage et les enfants qu’on ne devrait avoir que si on peut les nourrir, sur les mendiants peu nombreux à Lyon puisqu’on a « renvoyé tous ceux qui n’étaient pas nés dans la ville » ou sur les livres de son époque, à moins que ce ne soient ses remarques ou analyses économiques et politiques, sa dénonciation des corruptions qui parfois/souvent, sonnent très moderne ! Le lecteur s’étonnera aussi de multiples anglicismes (déjà, donc !), s’amusera de traits d’humour « On dit que trente personnes s’y sont noyées l’an passé ; trente, en style provençal, veut dire dix tout au plus. » Et se régalera des vacheries lâchées sur ses collègues « Je cherchais de tous mes regards la belle Touraine, dont parlent avec emphase les auteurs qui écrivaient il y a cent ans, et ceux qui de nos jours les copient. » C’est d’ailleurs un trait de caractère de Stendhal constant tout au long de ce bouquin, la critique et plus particulièrement la critique de ses concitoyens.