J’avais été un peu dubitatif devant la ligne de Charlie Hebdo, impulsée par Val, dont je me suis demandé si elle ne finissait pas par ressembler aux productions des années 30, il me semblait que Val avait manqué d’équilibre, s’attaquait plus durement aux musulmans qu’à d’autres catégories et ainsi choisissait une ligne politique, sous couvert de caricature. Le dessin est un art des années 60, un art du pauvre face aux riches, car tous ces dessinateurs ont plutôt représenté le pauvre face au riche, un idéal social, avec des moyens logistiques de pauvre, c’est à dire un simple crayon. Je suis pour la liberté d’expression, la caricature, même quand elle fait un peu mal, sinon, elle devient un art inutile et vide. Je me suis posé des questions sur la ligne Val, mais elle me semblait avoir le droit d’exister, même si elle s’avançait un peu masquée. De même, et bien que l’on fasse peu le parallèle entre les deux affaires, j’ai trouvé que l’on avait utilisé de biens gros moyens pour mettre fin aux spectacles de Dieudonné, que l’on pouvait, après tout rapprocher de Charlie Hebdo. Il m’a toujours semblé qu’il fallait traiter les deux de la même manière.
Comme beaucoup de français, je n’achetais pas Charlie Hebdo, j’en voyais les unes, le feuilletais parfois, comme d’ailleurs je ne connais pas vraiment les sketchs de Dieudonné, qui posent sans doute les mêmes problèmes, mais à des gens différents.
On a traité des cas peut-être semblables, mais de manière différente. La dérision est une grande valeur française, un patrimoine acquis dans les années 60/70, dont Wolinski et Cabu ont été de formidables initiateurs, et leur perte nous semble, dans une époque peut-être plus conformiste, de jour en jour plus douloureuse.
Cette culture de la dérision n’est pas partagée dans le monde, et l’humour n’est pas compris de la même manière partout. Par ailleurs,dans les deux cas, c’est de l’humour pour un camp, de la propagande pour l’autre. Nous avons chacun nos tabous. Se pose aussi la question de la limite, et qui n’est pas seulement liée à une culture, car même dans l’esprit de dérision très français, Charlie et Dieudonné ne sont-ils pas allé au delà de la dérision, la caricature cesse d’être un instrument d’interrogation, de remise en cause de soi-même, un moyen de retourner les forces qui pèsent sur les humbles contre les forts, mais peu devenir un outil de stigmatisation. C’est cela la limite, lorsque l’on passe de la mise en question des comportements sociaux, à l’attaque directe contre une population, et cette limite on la passe sans la voir parfois.