Depuis quelques années maintenant, Case Départ vous propose une plongée éclectique dans l'univers de la Bande Dessinée, à travers des albums grand public, populaires, parfois plus exigeants, des séries jeunesse, des albums d'illustrations, des livres sur des auteurs ou des recueils de dessins de presse.
Chaque semaine, nous sommes heureux de vous partager nos coups de cœurs, nos découvertes et nos désillusions parfois ; pourtant depuis mercredi, le cœur n'y est plus. Comment parler de la richesse de ces univers sans avoir une tendre pensée pour nos amis de Charlie Hebdo.
Case Départ continuera avec encore plus de convictions de vous présenter des albums pour la pluralité du 9e art, pour notre culture, pour le bien de tous.
Cabu
Numa Sadoul : On te sent à l'aise dans la caricature.
Cabu : J'aime bien ça. Un homme politique qui arrive, je vais le regarder à la télé pour apprendre à le représenter. Oui, j'aime bien la caricature, mais si tu veux, ça ne suffit pas de faire une caricature. Il faut quand même mettre en scène, ça fait partie des outils du dessinateur.
Numa Sadoul : ça se travaille ? Ça se prépare ? Tu fais des gammes sur les personnages ? Tu fais comme un imitateur qui travaille sa voix ?
Cabu : Oui, tu fais plein d'esquisses. Il faut que tu trouves sa " grimace " naturelle.
Numa Sadoul : Es-tu vraiment comme Duduche, aussi idyllique ? Parce que tu peux être d'une méchanceté...
Cabu : C'est aussi ce que dit Plantu. On me demande toujours : " Pourquoi dans la vie, vous avez l'air normal, alors que dans vos dessins, vous êtes méchants ? ". C'est justement parce qu'on se défoule ! Avec un dessin, tu peux faire des dessins à la Peynet, moi j'ai commencé comme ça. Si tu voyais mes premiers dessins, c'était des dessins tendres...
Numa Sadoul : Et c'est quoi le critère pour faire un bon dessin de presse ? A part la révolte et l'enthousiasme ?
Cabu : Cavanna dit : " Un bon dessin, c'est un coup de poing dans la gueule ! ". Mais il doit faire rire malgré tout. Même si tu prends un sujet dramatique, même si tu traites de Tchernobyl.
Numa Sadoul : [...] Peut-être que ça va changer, depuis l'affaire des caricatures. On va peut-être assister à un retour en arrière ?
Cabu : Sur certains thèmes, c'est possible. Sur les religions notamment. Mais c'est pour ça qu'il faut continuer à faire la critique de toutes les religions. Il faut que les musulmans s'habituent à la caricature.
Charb
Charb : [...] Mais l'autre problème avec les journalistes et la communication en général, je m'en suis rendu compte avec l'affaire des caricatures de Mahommet et toute l'actualité autour de ça, c'est que les gens sortent de l'école en sachant lire et écrire, et même, pour la plupart d'entre eux, analyser un texte. En revanche, l'école ne leur apprend pas à lire et à décrypter un dessin.
Numa Sadoul : Devient-on dessinateur de presse par provocation ou est-ce une spécialisation qui vient après un tronc commun humour/graphisme/BD ?
Charb : Dire, faire, dessiner et écrire des conneries m'a toujours réjoui. Ma passion pour le dessin a fait que j'ai plutôt eu envie de les dessiner, ces conneries. D'abord sous forme de bande dessinée (ce n'était pas convaincant) puis de dessin de presse.
Charb : [...] Mais je n'aime pas que les religieux m'imposent quelque chose, viennent voir comment je vis et me dictent l'organisation de ma vie. Mais je n'aime pas non plus que d'autres, au nom de la laïcité, aillent faire chier les croyants dans leur vie religieuse et intime.
Wolinski
Wolinski : Ensuite on a créé Charlie Mensuel, j'en suis rapidement devenu rédacteur en chef, et puis il y a eu Hara-Kiri Hebdo, qui est devenu Charlie Hebdo après l'interdiction en 1972. En fait, toute ma vie je l'ai passée avec Cavanna. Ça fait presque 50 ans que je travaille avec lui, sauf pendant les dix années d'interruption de Charlie, à partir de 1981. Après l'arrêt du journal, on avait décidé de se revoir un peu de temps en temps avec la vieille équipe. Il y avait Cavanna, Delfeil de Ton... Et puis un jour de 1992, Cabu est arrivé avec Val et il a dit : " On arrête de travailler pour La grosse Bertha car on ne s'entend plus avec le directeur, et on cherche un titre pour un nouveau journal. " Et j'ai proposé de reprendre Charlie Hebdo.
Numa Sadoul : Il y a peu, Cavanna me disait qu'au lieu de travailler dans un journal destiné à des gens qui pensent la même chose que nous, ce serait intéressant d'aller le faire dans un journal lu par ceux qui ne partagent pas nos idées, voire nos adversaires. C'est un peu ce que tu fais, non ?
Wolinski : C'est ce que je fais. Je suis devenu un professionnel. Pour moi, un professionnel est un mec qui garde ses convictions et son éthique, tout en travaillant pour des gens qui ne pensent pas comme lui. Mon dessin peut être lu à deux degré : il y a ceux qui pensent comme moi et ceux qui ne pensent pas comme moi mais que ça fait rire. Moi, je suis de gauche. Ça ne m'empêche pas de me foutre de la gueule des socialistes, s'ils le méritent. Mais je reste fidèle à mes principes et à mes convictions, dans des journaux qui sont des journaux nationaux.
Wolinski : Il faut continuer à être irrespectueux et à défendre la tolérance. Dès que tu es libre, tu suscites des réactions, des intolérances. Dès que tu es intolérant, tu suscites des réactions de liberté. Tout ça est lié : c'est l'homme.
La sélection de la semaine
Bjorn le morphir
Résumé de l'éditeur : La neige est méchante en cet hiver 1065, elle a décidé de s'en prendre aux hommes. Elle envoie ses légions de flocons géants sur le Fizzland, avec pour mission d'engloutir les villages vikings et tous leurs habitants. Afin d'échapper à la Démone blanche, Bjorn et sa famille se claquemurent dans la salle commune de leur maison en rondins. Tous se préparent à supporter un siège qui risque de durer de longs mois. Lors de cette épreuve exceptionnelle, chacun va dévoiler son cœur et son courage. A l'exception de Bjorn. Lui ne se révèle pas, il se métamorphose. Ce jeune garçon timide et craintif, maigre comme un oisillon et pas très doué pour les armes, va brusquement se transformer en un combattant exceptionnel. Par quel miracle ? Bjorn serait-il un " morphir " ? Lui même en doute.
Comment trouver sa place lorsque l'on est petit, craintif dans une famille de valeureux hommes ? C'est le propos de la belle saga fantastique jeunesse d'aventure Bjorn le morphir. Dans la famille, il y a le père qui rédige ses mémoires faites de combats, la mère aimante et Gunnar le fils ainé habile manieur d'épée. Ajouté à cela, Hari le vieux pêcheur, Maga sombrant dans la folie, Drüun le chevalier et surtout Sigrid dont le jeune ado amoureux. Difficile d'exister. Alors qu'il est considéré comme " un faible ", il va se révéler au grand jour comme un vrai morphir.
Le récit de Thomas Lavachery réunit tous les ingrédients pour faire de cette série, un succès : quête personnelle, accomplissement de soi, combats, magie, lieux mythiques et mystérieux, peuples souterrains, dieux et sorts maléfiques. Le romancier, qui adapte lui-même ses cinq écrits, calque l'épopée de Bjorn sur des légendes nordiques. Parfois cela peut sembler un peu confus, pourtant les belles valeurs véhiculées et l'intrigue rondement menée sont formidables.
Quant à la partie graphique, elle est confiée à Thomas Gilbert. Son trait d'une belle lisibilité est dans la veine de Joan Sfar, Clément Oubrerie ou les Kerascoët. Rue de Sèvres a eu le nez creux en rééditant cette belle saga tant elle nous fait voyager et nous accroche.
Le livre de Piik
Résumé de l'éditeur : Dans le Moyen Âge de la guerre de Cent Ans, avoir dix ans et vouloir apprendre à lire est une vraie bataille ! Piik est certain d'une chose, il ne sera pas bourreau comme son père ! Sa passion à lui, ce sont les plantes médicinales, intérêt que sa mère a tout juste eu le temps de lui transmettre avant d'être brûlée au bûcher des sorcières. Elle lui a aussi laissé une lettre, à lui qui ne sait pas lire ! Piik va devoir grandir plus vite que ses copains, quitter son père et mettre un terme à la longue lignée de bourreaux s'il veut apprendre à lire et découvrir ce que sa mère avait de si important à lui dire pour entourer cette lettre d'autant de secrets...
En plus de cela, il y a des rebelles qui tentent de récupérer le pouvoir ; le fils de Godric le chef de la rébellion capturé par les hommes (très idiots) de l'infâme seigneur de Baring et le lecteur se laisse rapidement happer par l'histoire. De plus des thématiques transversales sont bien amenées : l'amitié, l'entraide, les liens familiaux, la perte d'un être cher ainsi que l'accomplissement personnel. L'apprenti-lecteur, Piik, ressemble aussi un peu à Robin des Bois.
Un excellent début pour ce Livre de Piik. Une excellente saga jeunesse à suivre avec grand intérêt !
Lastman 6
Cet album est nominé dans la Sélection Officielle d'Angoulême 2015.
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I comb Jesus
Résumé de l'éditeur : De juillet 2007 à septembre 2013, Jean-Philippe Stassen a réalisé 5 reportages pour XXI et La revue dessinée au Rwanda, au Congo, en Espagne, au Maroc, en Belgique où il est né, en France ainsi qu'en Afrique du Sud. Ce travail " africain " de plusieurs années sur les migrations des victimes de la guerre et de la misère est édité ici sous le titre I comb Jesus (" Je peigne Jésus "). Dans tous ses reportages, Stassen écoute et dialogue avec d'anciens enfants-soldats, des rescapés du génocide rwandais, des congolais installés à Bruxelles, des migrants à Gibraltar ou Johannesburg, mais aussi avec le peintre sud-africain Anton Kannemeyer. Récits incisifs, clairs, intelligents, passionnants, d'une grande beauté graphique, ces reportages dessinés donnent toute la mesure de l'immense talent de Stassen. A sa façon documentaire, I comb Jesus prolonge Déogratias paru il y a 15 ans en mêlant mots et images d'acteurs, de témoins, de victimes des récentes guerres africaines.
A travers ces cinq récits à la fois clairs et passionnants, il raconte de très beaux témoignages d'acteurs et de victimes de ces récentes guerres sur le continent africain : Dans Les passages, il décrit les drames humains que vivent les migrants partant des enclaves de Ceuta et de Mellila vers le vieux continent. Comment Solange, chrétienne du Nord Nigéria séparée de son mari, essaiera de le rejoindre. Dans I comb Jesus (je peigne Jésus), il dialogue avec des Congolais installés à Bruxelles. Dans Matonge sur Seine, il décrit le conflit de transition en République Démocratique du Congo, à travers les immigrés de ce pays installés dans un quartier de Bruxelles. Dans A propos des revenants, il dresse le portraits de tutsis rwandais dont les vies seront à jamais bouleversées par le génocide dans leur pays et qui aura des conséquences sur le Zaïre, pays limitrophe. Enfin dans A l'école de l'art, il décrit sa rencontre avec Anton Kannemeyer, un peintre sud-africain.
Jabberwocky
Résumé de l'éditeur : Dans un univers calqué sur l'Angleterre Victorienne, les dinosaures existent toujours et ont évolué jusqu'à devenir intelligents. Cachés de l'humanité pour survivre, par la peur de leur quasi-extinction, certains ont quand même choisit de rejoindre l'humanité et ont embrassé diverses causes scientifiques, comme l'astronomie, la chimie et la biologie... D'autres, sont obsédés par leur "droit d'aînesse" sur la Terre et tirent les ficelles de la politique dans l'ombre, quand ils ne tentent pas tout simplement de reprendre la domination du monde aux humains. Les deux protagonistes de l'histoire sont Lily et Sabata Van Cleef. La première est une espionne, alcoolique, reniée par sa famille. Le second, pistolero d'exception, est un dinosaure, plus précisément un oviraptor. Après avoir recruté Lily lors d'une mission en Russie, ils travaillent pour Chateau d'If, une organisation secrète spécialisée dans les faits étranges et les exactions de clans sauriens, exactions impliquant en général la révélation de l'existence des dinosaures ou des bouleversements de la religion et de la science.
Mais cette société secrète va voir ses plans remis en cause par Lily, espionne anglaise très portée sur l'alcool et aux méthodes musclées. Accompagnée par Sabata Van Cleef, dinosaure et tireur hors-pair, elle est missionnée par le Château d'If pour mettre en lumière les tentatives secrètes des dinosaures.
Le trait fait de grands aplats noirs du mangaka est d'une grande originalité. Influencé par les auteurs américains ( Sin City de Moore et Campbell), il livre des planches d'une grande maîtrise graphique (belles bandes verticales et horizontales).
Les heures noires
Résumé de l'éditeur : Au Kariwaï, pays souffrant d'une terrible sécheresse et d'épidémies chroniques, l'expédition humanitaire de la D.A.U. parcourt les pistes pour mener à bien sa campagne de vaccination. Dirigée par François Desmords, français d'origine africaine, l'équipe comprend le jeune Alexis de Saint-Propos, venu des Antilles, et le chauffeur kariwaïnais, Abdullah Mag'bé. Ils sont bientôt rejoints par July Bujold, journaliste américaine à la recherche d'un scoop.
Et des scoops, il y en aura ! Coincés au milieu de l'affrontement opposant le Président du Kariwaï, politicien corrompu et narcissique résidant à Frenchtown, et Eugène Tumazi, chef mystique d'une rébellion chrétienne radicale, les quatre voyageurs vont bientôt tomber de trahisons en chausse-trappes, sans pouvoir freiner une spirale de violence qui les aspire toujours plus vite.
En proposant cette fable à mi-chemin entre la réalité et la fantaisie, Fabien Tillon livre un très bel album de 172 pages. En effet, sous couvert d'une fiction très bien maîtrisée, il dénonce des travers de nos sociétés contemporaines et pas uniquement africaine. Les problématiques actuelles sont mises en avant dans cette histoire. Les quatre humanitaires de la DAU (mélanges de plusieurs ONG) font face à de nombreuses difficultés pour mener à bien leur mission : matérielles (peu de vaccins), des laboratoires surpuissants ou des conditions sanitaires déplorables. Entre leurs rêves d'aider leurs prochains et leurs désillusions, ils sont servis. Parfois désabusés, ils tentent tant bien que mal de poursuivre leur campagne de vaccination. Le parallèle avec Ebola ou les autres épidémies est flagrant. En plus de cela, pour noircir son propos, il ajoute la sécheresse et la famine qui menacent.
De plus, le scénariste situe son action au Kariwaï, état africain fictif sous la coupe d'un dictateur. Entre ce président à vie, corrompu, narcissique et qui tient son pays d'une main de fer et Eugène Tumazi, chef des rebelles chrétiens radicaux, leur lutte est croustillante. Le dictateur poursuivant son rival jusqu'aux confins de son territoire. Et au milieu, les humanitaires pris en tenaille entre les combats et leur mission. Les traits d'humour sont caractérisés en la personne du président ; il faut dire que les colères du dictateur sont drôles à souhait. Quant au fanatisme religieux dépeint (ici par des chrétiens), il est criant de vérité.
Gaël Remise, qui avait déjà travaillé avec Fabien Tillon (Les mèches courtes, Vertige Graphique, Prix Tournesol en 2011), reprend ses crayons et ses aquarelles pour cet album. Il livre des planches à large case (entre 2 et 5 par page) afin de restituer au mieux ces ambiances africaines.
Léon l'extraterrestre
Résumé de l'éditeur : Petit citadin un brin timoré, Pierre passe ses vacances d'été chez ses grands-parents, au cœur d'une immense forêt. Milly, la jeune voisine débrouillarde et taquine, l'entraîne dans ses activités favorites par les sentiers secrets. Randonnée, pêche, course à vélo, c'est un univers sans limites qui s'offre à eux... Une nuit, un corps céleste éblouissant traverse le ciel et s'écrase dans la montagne. Intrigués, Pierre et Milly se rendent sur les lieux et découvrent... un étrange personnage sans visage : c'est un extraterrestre, aussi silencieux qu'exubérant ! Ils le baptisent Léon. Bientôt, la police et l'armée bou- clent le secteur. Pour Pierre et Milly, pas de doute, elles recherchent Léon !
Si le scénario n'est pas d'une grande originalité et n'exploitant pas tous aspects de Léon, le point fort de l'album réside dans la partie graphique. Le trait élégant et simple de Pau Valls est d'une grande lisibilité. Son dessin composé de simples traits lui permet de livrer des planches très équilibrées.
Camomille et les chevaux
Résumé de l'éditeur : Camomille et Océan, c'est une grande histoire d'amour. Avec lui, c'est bien connu, elle ne galope pas, elle vole !... Oui, mais voilà, une vilaine chute, ça arrive même aux meilleures cavalières ! Et si le cheval, c'est comme le vélo, quand on tombe, il faut immédiatement se remettre en selle, avec un plâtre, c'est moins pratique !...
Qu'à cela ne tienne ! Trois semaines, ce n'est pas si long, et franchement, il en faudrait plus pour dissuader Camomille de fréquenter le centre équestre...
Anaïs, la sœur de l'héroïne, prend en charge les premiers pas d'Amine au centre équestre : choix du cheval, cours de lasso, visite du musée... Ajouté à cela, Rémi, le palefrenier, qui ne compte pas son temps et on obtient une petite série sympathique et amusante pour les jeunes lecteurs.
Si le précédent opus ne nous avait pas complètement séduit par ses gags, avec le tome 5, Lili Mésange a enfin trouvé son rythme de croisière. Les mini-récits sont plus abordables et font plus souvent mouche. Du côté graphisme, Stefano Turconi livre de nouveau un travail sérieux et de qualité comme pour le quatrième volume : simple, tout en rondeur mais d'une belle efficacité.