I Don't Want to Sleep Alone / Hei yan quan (2006) est née de la volonté d'un cinéaste, Tsai Ming-liang de renouer avec une terre natale : la Malaisie, bien que ce retour aient été quelque peu poussé par des critiques taïwanaise...
De nuit, dans les quartiers de Kuala Lumpur, la ville aux mille visages où se côtoient immigrés indiens, chinois, indonésiens, Tsai Ming-liang dépeint à travers deux portraits (un même acteur : Lee Kang-sheng) les démons qui hantent chacun de ces individus, la solitude entre autre.
Hsiao Kang sans abris est passé à tabac après une altercation. Des immigrés indiens le retrouvent inerte en pleine rue et décident de le recueillir. Des sentiments vont naître entre la victime et son protecteur. En parallèle, un jeune homme dans état léthargique est hébergé dans un snacking tenu par deux femmes.
Tsai Ming-liang pose son récit dans un contexte historico-politique. Dans I Don't Want to Sleep Alone, le cinéaste recréait une ville grouillante, Kuala Lumpur, où les constructions ont été laissées à l'abandon depuis la crise économique de 1997 qui a touché la Malaisie en plein développement urbain. Beaucoup s'entendent à dire que ce long métrage se veut l'un des plus engagé du cinéaste. Ce qu'évoque Tsai Ming-liang est un retour en Malaisie qui l'a profondément marqué, constatant un même paysage hanté et abandonné qui l'avait quitté.
Le fil conducteur de la solitude et de l'incommunicabilité se veut toujours aussi présent dans I Don't Want to Sleep Alone. A travers deux personnages, un parallèle se crée entre une solitude causée par une situation précaire et une autre par un enfermement physique. Ces deux portraits, le cinéaste les veut précis et joue sur le lien permanent qui les unie. L'un emprisonné dans une condition sociale trouvera refuge et bienveillance auprès d'un inconnu, tandis que l'autre emprisonné dans un corps subira les soins médicaux brutaux d'une infirmière, pour découvrir après, la sensualité d'une femme, sans pouvoir réellement en jouir. Tsai Ming-liang nous montre deux appréhensions du sentiment d'emprisonnement, quand il n'est pas physique, il est mental conditionné par un environnement social. Avec sensibilité et un érotisme ambiant, le cinéaste dessine avec vigueur le contour d'une société hantée par un emprisonnement du corps et de l'esprit. Un emprisonnement lié à une solitude que l'incommunicabilité force à perpétuer.
Tsai Ming-liang prend le parti de poser son long métrage de nuit. C'est par ce choix qu'il parvient à exceller. Dans un jeu d'ombre et de lumière, le cinéaste marque par un esthétisme fou se lançant dans une ambiance singulière. Il construit de splendides tableaux où se jouent des scènes de vie des plus banales. L'émotion et la beauté du cadre sont fascinants et Tsai Ming-liang fait ici du grand cinéma. Avec peu d'artifices, il réussit à nous immerger dans un univers peu commun, intimiste et poétique, souvent décalé, totalement enivrant.
Pour poursuivre, le cinéaste use d'interstices musicaux amenés de manières peu conventionnelles. Menant sa barque sans classicisme, les airs choisis, originaux et improbables, forment une drôle d'harmonie, semblant de prime abord bancal pour se dévoiler d'efficaces sources émotives, contrastant avec l'inexistence de dialogues de Hsiao-kang et Rawang.
Véritable OFNI, par sa forme et son fond, Tsai Ming-liang fait corps avec une œuvre improbable. I Don't Want to Sleep Alone se veut charnelle et érotique, décalé et équilibré, à l'image d'une carrière que le cinéaste a tenté de créer sans concession. Ce long métrage n'ira pas à l'encontre de cette ligne conductrice. D'un charme fou, d'une audace irrésistible, I Don't Want to Sleep Alone est une œuvre marquante relatant le mal d'un pays, peut être celui d'un cinéaste, un homme, rongé par les difficultés de la nature humaine.