Charlie Hebdo massacré : l'édito de Marianne

Publié le 08 janvier 2015 par Guy Deridet

L’effroi, la stupeur, le chagrin. Jamais sans doute nous n’aurons eu autant de mal à commenter l’actualité tant elle se présente sous un jour terrible et tragique après l’exécution ciblée qui a frappé Charlie Hebdo.



Ma première pensée va à Tignous, notre dessinateur depuis toujours. Tignous n’était pas seulement un grand artiste, c’était un confrère chaleureux qui a incarné avec talent, avec générosité, avec assiduité les valeurs pour lesquelles nous combattons tous. Sa disparition, celle de Charb, de Wolinski, de Cabu, de Bernard Maris et de tant d’autres nous plongent dans la sidération et l’horreur.

Fidèle à sa tradition éditoriale, Charlie Hebdo avait porté à son point d’incandescence la liberté de la presse avec un double axiome : exercer son insolence à l’endroit du pouvoir – de tous les pouvoirs – et l’irréligiosité, ce droit au blasphème, brandi si haut par notre ami Tignous au point de roussir quelques barbes au passage !

Ne nous leurrons pas : les barbares qui ont assassinés ces amis de la liberté n’ont pas agi en redresseurs des torts éventuels de la France, comme certains imbéciles ou salauds, tôt ou tard, nous le murmureront à l’oreille, mais en ennemis farouches de ce qu’elle a de meilleure et de plus universel : la liberté de l’esprit, le droit à la satire, au débat et à la controverse, l’irrespect démocratique, bref, ce fil émancipateur qui court notamment de Voltaire à Charlie Hebdo. Ne nous leurrons pas : ce n’est pas un Occident présumé dominateur qui a été frappé ici au cœur mais la France dans ce qu’elle a de meilleur, la France émancipatrice, la France des Lumières, la France qui parie sur la culture et la réflexion pour désarmer la barbarie.

Hélas, aujourd’hui, non content de conspirer à effacer ce précieux héritage, l’esprit du temps s’emploie à jeter un doute permanent sur cet engagement de progrès. Combien de fois a t-on entendu critiquer Charlie Hebdo qui en « faisait trop » ? Suspectant lourdement le journal d’avoir trouvé dans cette lutte une niche éditoriale. Les artilleurs qui s’adonnaient à cet exercice de dévaluation de l’engament de toute une équipe de fantassins doivent se trouver malins aujourd’hui. Quoique… Ne doutons pas que cela n’empêchera pas ces permanents donneurs de leçon et professeurs es déontologie journalistique de verser des larmes de crocodile. Ne nous leurrons pas : ces petits maîtres du soupçon viennent d’être rattrapés par le réel et n’en tireront aucune leçon.

Un mot encore sur le procès fait à l’humour de Charlie Hebdo. On traque aujourd’hui le rire alors qu’il dit souvent mieux qu’un long discours la chair du monde. Car ce même esprit du temps revêt les rapports humains d’une robe de bure. Je ne sais pas si le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Il n’est même pas sûr que Malraux ait prononcé cette phrase. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il n’y a pas d’idée plus salvatrice que la laïcité. Pas de pensée plus novatrice que le refus de se laisser embrigader dans les nouvelles guerres de religion.

En apprenant l’assassinat de nos confrères, Michel Onfray a eu cette réaction immédiate : « C’est notre 11 septembre ». Un combat s’engage. Il sera long. Il sera difficile. Il sera âpre. Dans cette épreuve collective, veillons à ne perdre ni notre sang-froid, ni notre lucidité.

N.D.L.R

uand ils sont venus chercher les communistes,
je n'ai rien dit.
je n'étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n'ai rien dit.
je n'étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n'ai rien dit.
je n'étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n'ai rien dit.
je n'étais pas catholique
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester

Dachau - Pasteur Martin Niemöller, texte revu par Berthold Brecht


"Le seul moyen de lutte qui nous reste, pour refuser l'arbitraire et la barbarie, est de ne pas renoncer à notre éducation."[Mohammed Moulessehoul, alias Yasmina Qhadra]