La chronique de Daniel Schneidermann sur Libé
Et soudain, le nom de Cabu. Soudain, au milieu des infos encore incertaines, des bilans contradictoires, de l'affolement des chaînes d'info et de Twitter, soudain le nom de Cabu, parmi les victimes.
Cabu ? Cabu. Pas Cabu, tout de même ? Si. Cabu. Et pas seulement. Et aussi son vieux copain Wolinski. Et aussi deux plus jeunes, Charb et Tignous. Et huit autres, dont nous ne savons pas encore les noms, mais que nous attendons de connaître.
Mais Cabu, d'abord. Pourquoi Cabu plus que les autres ? Pas pour les séparer dans la mort, bien sûr. Mais parce que Cabu, comment dire ? On a tous grandi avec Cabu. On a tous, au-delà d'un certain âge (et Alain Korkos le dira ici, dans la journée), grandi avec le grand Duduche et son beauf. On a tous rêvé, comme Duduche, d'embrasser dans la cour la fille du proviseur. C'était l'époque où Cabu ne dessinait encore sur rien d'autre que sur les émois, et les révoltes, lycéens. C'était avant. On a tous grandi avec ce lunaire au coeur tendre, que l'on vient d'assassiner aujourd'hui.
Cabu, Charb,Tignous, Wolinski : qui aurait pu prédire que ces quatre noms, associés dans la mort, nous feraient un jour pleurer, seulement pleurer ?
Cabu, Charb, Tignous, Wolinski : chacun ses symboles. Chacun ses écroulements intérieurs. Comment, au milieu de la réprobation mondiale, que tympannisent les chaînes d'info, comment exprimer ce sentiment, de vivre un 11 Septembre intime ?
Comment dire aussi cette certitude qu'il y aura un avant et un après ? Comment dire qu'une ligne est tracée, qui ne s'effacera pas ? On pouvait discuter les dessins de Charlie Hebdo. On pouvait discuter beaucoup de choses. On pouvait estimer que les dessins de Charlie flirtaient parfois avec l'islamophobie. On ne s'en est pas privés ici. On ne le regrette pas. Ces débats étaient légitimes, nécessaires. Mais, quels que soient ses auteurs, que l'on ne connait pas encore, une ligne vient d'être tracée. Quiconque ne partagera pas sans réserve l'horreur du carnage de ce matin sera tout simplement, désormais, un ennemi.
N.D.L.R
Le moins qu'on puisse dire est que du côté de Mme Lepen et de ses ouailles, les réactions à cette horreur sont plutôt discrètes. Ce qui n'est pas le genre de cette maison.
Ils sont embêtés, c'est évident, mais leur mutisme nous apprend, s'il en était besoin, que leur détestation de la libre pensée est encore plus grande que celle des Arabes !
Je vous laisse bien réfléchir la-dessus.