Lexpress.com - décembre 2014
A-t-il sauvé son pays du déclin ? L'a-t-il plongé dans la précarité ? Ses recettes sont-elles applicables en France ? L'inspirateur -si loué et si critiqué- des réformes du marché du travail de Gerhard Schröder se garde de faire la leçon à Paris.Cela commence très mal. Engoncé dans un fauteuil au bar d'un grand hôtel parisien, Peter Hartz est à la torture. Il se frotte les mains nerveusement, touche ses cheveux de manière compulsive et répond aux questions comme un automate. Autant dire que nous n'avons devant nous ni le salaud que ses adversaires vomissent -un ultralibéral qui aurait plongé l'Allemagne dans la précarité à coups de minijobs et d'indemnités de chômage réduites-, ni le héros que ses admirateurs célèbrent -l'homme qui a permis à son pays de retrouver son rang, de diviser par deux le nombre de demandeurs d'emploi.
Le Peter Hartz de ce soir-là est avant tout modeste et prudent, très prudent. De quoi la France a-t-elle besoin, lui demande-t-on? "La France met en oeuvre beaucoup d'idées qui marchent. Le pacte de confiance [en fait, le pacte de responsabilité] est une très bonne chose." Comment s'est passé son déjeuner avec François Hollande, en décembre 2013 ? "C'était un déjeuner informel."
A-t-il invité le président à son colloque sur le chômage des jeunes, en juin, à Sarrebruck ? "C'était un déjeuner informel." Et quand on lui dit qu'il n'a pas répondu à une question, il sourit : "Ça arrive quelquefois."
L'art de l'esquive
L'ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen, 73 ans, l'inspirateur des réformes du marché du travail de Gerhard Schröder, grand fantasme des Français aujourd'hui, décourage la curiosité. Pas la sympathie. Dès que la séance formelle de l'interview est terminée, il s'anime, le regard se fait malicieux, comme s'il avait bien roulé dans la farine la journaliste aux interrogations si prévisibles. Ce qu'il pense vraiment, il va le dire, ici et maintenant, lors de ce dîner organisé par CroissancePlus, à Paris, le 26 novembre.
Enfin, c'est ce qu'il promet... Cette association d'entrepreneurs, plus jeunes et plus chahuteurs que les notables d'une classique assemblée patronale, a envie que la France bouge. "Nous avons besoin de votre vision", lance Stanislas de Bentzmann, le président. Une jeune femme renchérit : "Quelles sont les premières mesures à appliquer en France et, si elles sont connues, pourquoi ne les applique-t-on pas ?" La salle biche, Hartz rigole : "Vous êtes 150 ou 160 [il exagère un peu, ils ne sont que 132], vous êtes intelligents, vous savez très bien ce que vous devez faire."
Et, pour clouer le bec de ces Français avides de recettes germaniques, il assène cette phrase, puisée dans la panoplie de ses réponses standards : "La France possède de nombreuses têtes bien faites, elle n'a pas besoin de l'Allemagne pour lui faire la leçon." Certains tentent de lui faire dire du mal des syndicats (français), il répond à côté de la plaque, toujours imperturbable.
Cet art de l'esquive est celui d'un homme blessé. En 2002, Schröder le nomme à la tête d'une commission pluraliste de 15 membres. Ses propositions, le chancelier les reprend... en partie. Les critiques, Hartz les essuie, en totalité. Lui, le militant du SPD depuis ses 23 ans, lui, le jeune garçon qui a commencé à travailler à 14 ans, lui qui martèle que tout travail est préférable au chômage, voulait une indemnité minimale de 511 euros pour les chômeurs. Elle a été fixée à 359 euros.
La souffrance sociale porte désormais son nom
En Allemagne, la souffrance sociale porte désormais son nom, cette syllabe qui claque. "Si j'avais un nom à rallonge, comme Leutheusser-Schnarrenberger, la commission ne se serait pas appelée "commission Hartz"", regrette-t-il devant les patrons français. En 2007, Hartz est condamné dans une affaire de corruption des syndicats de Volkswagen. On ne lui reproche aucun profit personnel, mais il en est marqué.
Un convive comprend bien ces blessures : c'est François Villeroy de Galhau, banquier -il est directeur général délégué de BNP Paribas, issu d'une famille française de la Sarre. Hartz est son voisin, il est devenu son ami et son inspirateur. Le septuagénaire milite pour l'emploi des jeunes. "Ils sont 300 000 sans travail en Allemagne", dit-il, pour corriger cette image de bon élève qui colle à la peau de son pays. Obsédé par les dégâts psychologiques du chômage, il veut donner leur chance aux jeunes Européens mal ou peu formés, les doter d'un capital de 50 000 euros pour leur permettre d'apprendre une langue étrangère, d'accéder à une qualification et à un emploi dans un pays de l'Union où l'on a besoin d'eux.
Dans son livre L'Espérance d'un Européen (Odile Jacob), Villeroy de Galhau reprend cette idée d'"europatriés". Hartz connaît le numéro du chapitre par coeur, c'est le 9. Pour vendre son rêve d'europhile, l'ancien DRH a demandé rendez-vous à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Il en a parlé à l'Elysée, en décembre 2013.
La presse allemande -qui ne connaît pas très bien le président de la République française- affirme alors que Hartz est devenu le conseiller de François Hollande. Horreur, malheur ! Deux ministres décommandent leurs rendez-vous avec ce diable d'Allemand. Alors, se mêler des réformes françaises, jamais. Il aime la Bretagne, notre pays, il admire l'aéronautique française, la mode, l'agroalimentaire. Il conclut : "C'est à vous de trouver ce qui correspond à l'âme française."