Des dessinateurs sont morts aujourd’hui. Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, le chroniqueur Bernard Maris… Ils défendaient tous une idée éprise de liberté, celle de dire sans craindre d’être enfermé ou assassiné. Aujourd’hui, on sait qu’ils vivaient tous dans la peur de l’attentat, qu’ils craignaient pour leur vie, mais ils ont continué, avec courage et obstination, inlassablement, à dire leur haine de la bêtise, du meurtre et de la connerie religieuse.
Il est difficile de réagir face à une telle barbarie. Quand notre passe-temps est d’écrire sur les émotions, les idées que nous font partager des dessinateurs, des illustrateurs. Sur des fictions, des choses légères faites pour nous distraire. Nous sommes libres d’en parler ou pas, d’en dire du bien, du mal ou d’ignorer pour ne pas blesser ce que l’on estime un travail que nous n’avons pas apprécié. Nous avons la liberté de choisir ! Un luxe monumental dans un monde qui ne cesse de s’enflammer, pour des idées religieuses, pour sa soif d’énergie, ses guerres du pétrole, ses mafias, ses cartels de drogue et tant d’autres.
Dessins de Oppenheimer et Loïc Sécheresse.
Aujourd’hui, oui, nous sommes tous atteints dans notre liberté de penser, dans notre façon de voir la vie, déconnectée qu’elle était du souci religieux depuis que le pouvoir politique et donc de vie de tous les citoyens français est devenu indépendant de cette obligation de pensée. Mais nous sommes rattrapés par la barbarie de ce monde, par des gens qui préfèrent exécuter plutôt que discuter, échanger, partager… Nos émotions l’emportent, on peut même avoir envie de meurtre, de châtier comme ces vils tueurs l’ont fait. Mais je sais que ce n’est pas la bonne réaction. Même si aujourd’hui je ne crois plus en un monde de bonté et d’amour partagé, même d’une simple compréhension, je reste persuadé qu’il faut garder la ligne de ceux qui sont tombés : fustiger par l’esprit l’obscurantisme, tailler nos crayons et apprendre à un maximum de jeunes à dessiner leurs rêves, à partager avec le musulman qui acroche sa balançoire aux étoiles qui scintillent au-dessus de sa tête, à critiquer librement, à caricaturer, à se moquer et à rire. Le rire engendre le bonheur, la haine ne commet que le meurtre.
Dessin de Gaston
Ce soir, je pense à Wolinski et à Cabu (on m’appelait la grande Duduche au lycée !), ces maîtres qui m’ont appris la distance à prendre devant tout pouvoir, les militaires, les politiques, les religieux, à l’obligation de sortir des sentiers tracés par les institutions, à rire de tout même si on n’est pas d’accord… à tous ceux qui ne s’arment que de leur crayon, aux satiristes et aux éditeurs qui prennent des risques sur des sujets polémiques et à tous ces gens qui étaient là, juste pour défendre, pour travailler, pour vivre, pour respirer, et qui sont morts. Je pense à ces tueurs, indéfendables, qui cherchent à nous faire peur, à nous effrayer, à nous faire perdre nos repères, à nous faire croire que nous sommes des moutons à abattre. Et je me dis qu’ils sont terriblement idiots, imbéciles, irrécupérables, juste des tueurs… et que leurs meurtres sont injustifiables et impardonnables. Oh ! pas par un dieu sorti d’un tiroir d’un obscur manipulateur, non, juste au regard de l’homme, de celui qui croit en la vie et en l’espérance.
Ce soir, je suis plus qu’en peine, je pense aux morts, si nombreux, à ceux qui ont vécu des scènes de guerre et qui seront sans doute marqués à vie, aux proches qui sont dans le deuil et à tous ceux qui, comme moi, ont le cœur qui saigne en ce mercredi 7 janvier 2015, une date qui écornera à jamais nos envies de légèreté et de liberté.
Celle de pensée restera inaliénable pour qui vit en ce pays, celui de Rousseau, de Voltaire, des dessinateurs de presse, des journalistes, aussi imparfaits qu’il puissent être mais qui nous laissent penser qu’on peut vivre avec cette idée en tête : notre expression n’est pas muselée. Il faut oublier la paranoïa ambiante, le politiquement correct, les ligues de bonne vertu. Oui, il faut dénoncer et comme le dit si bien Stéphane Hessel : Indignez vous ! Ne faites pas d’amalgame, ne cédez pas aux colères aveugles, mais Indignez Vous ! C’est essentiel.
L’hommage de Zep
Comme l’ont déjà montré beaucoup de caricaturistes et dessinateurs, c’est une mort bête et méchante. Beaucoup n’ont pas oublié l’humour, même s’ils sont submergés de chagrin, mais c’est la voie de Charlie Hebdo, un journal qu’on a tenté d’assassiner aujourd’hui et que je vous invite tous à défendre, en l’affichant clairement et en soutenant ce journal, en l’achetant parce qu’il ne doit surtout pas mourir !
Et pensez fortement à ceux qu’on a tué aujourd’hui. Ils étaient tous défenseurs d’une pensée libertaire qui est vivifiante. Ils vont beaucoup nous manquer.