Voici un titre que les plus fidèles d’entre vous, nous connaissant pour notre légèreté et notre liberté de ton, doivent trouver étonnant. Mais comment faire autrement, les yeux embrumés de larme, le cœur lourd, après cette journée folle, que d’exorciser nos sentiments en les couchant sur le papier blanc irréel et dématérialisé de Word. Rassurez vous, il ne sera ici question d’aucun idée politique, d’aucune idée religieuse, d’aucun prosélytisme, juste d’un farouche désir de crier notre indignation, notre choc, notre bouleversement face au drame que traverse notre société aujourd’hui, et la volonté de défendre et de rappeler avec véhémence la fragilité de l’une de nos plus forte valeur : la liberté.
#jesuischarlie vu par Le Chat Geluck
Mais est-ce notre rôle en tant que simple « bloggeurs » d’écrire ces mots et défendre ces idées ? Je ne sais pas. Je ne me pose d’ailleurs pas la question de notre crédibilité sur ce sujet. Je sais seulement qu’en tant que citoyen, qu’en tant que tout petit organe médiatique véhiculeur d’idée, qu’en tant que farouche défenseur de cette vision de la France cultivée, multiculturelle et indépendante, qu’en tant qu’amoureux de notre si beau pays, il est de mon devoir d’interpeller le plus possible sur l’un des combats les plus importants de ce siècle nouveau – la Liberté et la Fraternité des peuples !
Liberté d’expression, liberté de parole, liberté de religion, de sexualité, de goût, de pensée, nous ne cessons de défendre cette idée, qui nous paraît si simple, si facile, si « due », et que nous oublions, à tort, sa fragilité et sa précarité. Nous avons sans doute oublié également que nos vies de jeunes occidentaux favorisés, ne se résumaient pas en droits, mais aussi en devoirs. Notamment celui de mémoire envers ceux qui se sont battus au fil des siècles pour que nous puissions jouir de cette liberté d’expression, qui manque encore cruellement à une grande partie de l’humanité. Mémoire, mais aussi respect. Respect vis à vis de ceux qui ont donné leurs vies, révolutions, après révolutions, barricades, après barricades, attentats après attentats, affiches de protestations et articles de contestations à l’appui, et ont fait de la France la terre de tous les idéaux, la terre de toute les libertés, la patrie des droits de l’homme, de la Liberté, de l’Egalité, et de la Fraternité.
Ainsi, lorsque je vois aujourd’hui, les valeurs de la France, nos valeurs de citoyens, mes valeurs en tant qu’individu bafouées ; monte en moi le sentiment de l’injustice et l’ombre de la barbarie et de l’ignorance.
Car c’est bien d’ignorance qu’il s’agit. Comment des êtres humains, si lâches, si serviles, si amoraux peuvent-ils se revendiquer d’un quelconque courant religieux afin de perpétrer de tels actes ? Car en finalité, outre les douze victimes de cet acte terroriste monstrueux, c’est avant tout contre tout un peuple entier de croyants que les éclaboussures injustes de leurs faits se porteront à tort.
Ignorance et barbarie une fois de plus. Barbarie de ceux qui osent lever la main sur leur égal et ôter la vie, ignorance de ceux qui risquent de faire l’amalgame bien trop facile, bien trop injuste entre intégrisme et religion ; et Dieu sait (je laisse d’ailleurs libre cours à chacun de se questionner sur l’existence ou non de celui-ci) que notre période est bien mouvementée entre charognards électoraux et gratouilleurs de la peur espérant vendre quelques milliers d’ouvrages de plus en librairie brandissant l’étendard bien trop facile de « l’autre ».
Charlie Hebdo par Cabu
Mais ce n’est pas de peur qu’il s’agit aujourd’hui, mais d’une profonde tristesse. Celle de prendre conscience et de se dire qu’en 2015, à Paris, capitale des Lettres et de la Culture, pays des Lumières et de 1789, qui n’a cessé depuis plus de deux siècles d’inspirer les penseurs et les défenses de la liberté du monde entier, que l’inculture et la bêtise ont frappées de plein fouet, autant la vie à ceux qui osaient défendre leur idées, et leurs idéaux. Journalistes, dessinateurs, humoristes, mais aussi gardien de la paix abattu de sang froid, ces douze personnes abattues, ont aujourd’hui disparues en héros. Héros du quotidien, ou plutôt héros de la patrie, ce sera notre nouveau devoir de mémoire de ne jamais oublier cette journée noire et le sacrifice de ceux qui se battaient chaque jour pour défendre la liberté d’expression en France.
Charb avait dit : « Je préfère mourir debout que vivre à genoux », ses mots l’ont malheureusement rattrapés et nous prouvent que les mots et les idées peuvent parfois être bien dangereux, bien dérangeant pour certains. Mais ce dernier sacrifice aura, je l’espère, l’impact de nous faire nous réveiller de la lente et douce léthargie dans laquelle nous nous étions tous un peu assoupis. Aucun de ne droits n’est malheureusement garanti à vie, c’est la triste leçon de cette journée et c’est notre devoir moral de citoyen, mais aussi d’individu heureux d’avoir la chance de vivre en terre de liberté qui doit nous pousser à nous dépasser et défendre nos intérêts et libertés communes.
Charlie Hebdo vu par Plantu
Et lire, écrire, parler, dessiner et rire en font partie ! Ecornée lentement au fil des décennies par des médias malheureusement de plus en plus contrôlés par les intérêts financiers et les enjeux politique des grands Barons de la Presse, seuls quelques rares titres se permettaient encore, envers et contre tous, de crier haut et fort ceux que beaucoup pensaient tout bas. Charlie Hebdo en fait partie ; soulignant les disfonctionnements de notre monde par le biais de l’humour, égratignant les hommes politiques de tous bords, comme les Dieux de tous horizons ; mais toujours avec en finalité, une touche d’espoir et d’humanité, invoquant implicitement le rapprochement des peuples, le partage des idées et l’acceptations des différences plus que la séparation de doctrines grégaires.
Est ce un crime de penser différemment ? NON
Est ce un crime de griffonner et de faire sourire les gens ? NON
Est-ce un crime de dire tout haut ce que les autres n’osent plus ? NON
Est-ce un crime d’ôter la vie de quelqu’un défendant ses opinions ? OUI !!!!
Quel plaisir et quelle fierté de voir ce soir, des centaines de milliers de personnes réunies spontanément, à Paris, en France, dans le monde entier, bougies à la main, se réunissant dans la paix pour rendre hommage à ces douze héros d’un siècle nouveau, nous rappelant la fragilité et la préciosité de nos acquis. Quelle joie de voir un peuple entier se lever, faisant front commun en dépit des idées politiques ou des religions de chacun, défendant l’importance de nos valeurs.
Et quelle déception de constater aussi les commentaires déplacés de certains, sur Twitter notamment (réseau social devenu au fil des années le triste autel contemporain de la bêtise assumée), disant « bien fait ». Pour ces personnes là, je tiens juste à rappeler, que peu importe ses convictions personnelles, peu importe ses idéaux, la disparation d’un être humain, la perte d’une vie, quelle qu’elle soit, ne sera jamais, O grand jamais, quelque chose de « bien fait » ! Ou alors ce serait trop facile, pourquoi ne pas faire disparaître de nous les 5000 ans d’histoire des civilisations, et retourner à l’état barbare primitif? L’état sauvage que décrivait parfois avec quelques maladresses Rousseau, et qui marqua le début du siècle des Lumières. Le début d’une société de plus en plus égalitaire, de plus en plus réfléchie, de plus en plus combatives, enfin, de plus en plus libre.
#jesuischarlie vu par Boulet
Périodes d’obscurité et de Lumières se suivent dans l’histoire de l’Humanité et des religions ; à la suite de l’une des plus noires du siècle précédant, le poète Paul Eluard écrivait une Ode à la plus belle de nos valeurs – la Liberté ! Il est étonnant, avec le prisme de l’actualité de ce jour, de relire ces quelques vers et d’en comprendre à nouveau toute l’importance et la portée ; et de ne jamais plus oublier, que partout Liberté chérie, j’écrirai ton nom !
A.
#jesuischarlie vu par Banksy
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J’écris ton nom
Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l’écho de mon enfance J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur Sur l’étang soleil moisi Sur le lac lune vivanteJ’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l’orage Sur la pluie épaisse et fade J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs Sur la vérité physique J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume Sur la lampe qui s’éteint Sur mes maisons réunies J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux Du miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni J’écris ton nom
Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J’écris ton nom
Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l’espoir sans souvenir J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
#jesuischarlie #wearecharlie