Au départ œuvres des houngans ou des mambos (prêtres ou prêtresse vaudou), assistés de quelques fidèles, ces étendards appelés drapós vodou étaient créés dans un processus qui ressemble fort au rituel associé à la fabrication d’icones catholiques.
Ils font partie d’une chaine de dévotions où l’on trouve des pakets congo et des chasubles portées par les dignitaires lors des défilés Rara, manifestations rurales qui se déroulent pendant le carême et culminent à la semaine sainte l’Église Catholique.
Dans les années 1940-1950, la fabrication de drapós est devenue une spécialité. Créées dans des ateliers ils révèlent, à l’intérieur du respect de codes, des styles nettement distinctifs qu’affirment la qualité du travail fini et l’aspect esthétique de l’ornementation encadrant l’image principale. S’il est vrai que les drapeaux d’un artisan diffèrent ainsi de ceux d’un autre, on observe qu’à l’intérieur d’un même atelier, il est courant que deux drapeaux dédiés à un même loa soient eux aussi différents l’un de l’autres. Ces sont en quelque sorte des actes de foi qui étaient dans le temps anonymes. De nos jours, ils sont fabriqués dans des ateliers plus importants et portent tous la marque distincte des artistes vodouisants qui dirigent ces ateliers. Souvent même ils sont signés.
Les drapós sont des objets rituels intimement liés à la religion vaudou. Ils portent chacun les insignes d’un loa (ou esprit) et, dans leur ensemble, ils sont le reflet de la Société c’est à dire de l’ensemble des initiés formant une sorte de club mystique à laquelle le sanctuaire est attaché.
Les drapós sont paradés dans le temple au début de toute cérémonie vaudou. Ce défile est méticuleusement chorégraphié et marque en quelque sorte le passage du monde physique au monde métaphysique qui va s’opérer durant la cérémonie. Pour cette raison, le hougan ou la mambo, maître du sanctuaire, va tout faire pour tirer parti de ce tourbillonnement de couleurs et de paillettes propres à créer l’illusion de la magnificence.
Les drapeaux sont gardés avec d’autres objets rituels dans une chambre du sanctuaire où se trouvent les autels des loas. Ils sont cloués sur une hampe en bois surmontée d’un ornement en forme de S couché. Lorsqu’il faut les sortir, ce sont des hounsi, désignées comme porte drapeaux qui vont les chercher. Précédées du maître de cérémonie (à ne pas confondre avec l’officiant) qui fait des moulinets avec un sable ou une machette, elles pénètrent dans le lieu où va se dérouler la cérémonie et entonnent un chant au loa protecteur des drapeaux. Ensemble, ils marquent dans leur procession les quatre points cardinaux puis saluent les tambours, les dignitaires de la Société et les invités de marque. Ces hommages rendus, le maître de cérémonie, avec son sabre tendu devant lui, conduit les porte-drapeaux dans une course autour du poto-mitan en effectuant de brusques changements de direction. Après un moment, il les entraine vers la porte du sanctuaire où, après trois reculs, ils disparaissent au pas de course. S’il est vrai que de nombreuses pratiques catholiques se mêlent au rituel, on a rarement parlé de l’influence de la vie militaire, par exemple, d’où émane la parade des drapeaux et les jeux d’épée ou de machette.
La fabrication des drapós est à peu près la même que celle des tapisseries ou des broderies sur tambour. Un carré de tissu (généralement du satin doublé d’un tissu plus lourd) est tendu sur un cadre. Un artiste y trace les motifs : le vève représentant le loa et/ou l’image naturaliste (objet, personnage ou animal) auquel celui-ci est associé. Les couleurs spécifiques au loa sont choisies et les artisans (hommes ou femmes) se mettent au travail fixant paillettes et perles de verre sur la toile tendue. C’est un long travail. Mesurant généralement 36 pouces X 36 pouces ils sont pour la plus part recouverts entièrement de paillettes ne mesurant pas plus de 8mm. Il n’est donc pas rare de trouver sur ces étoffes dix-huit à vingt mille paillettes et perles de verre qui réagissant alors aux variations de lumières et scintillent de mille couleurs.
Le succès de la peinture haïtienne dite naïve ou primitive a eu pour effet de tourner les regards vers les arts populaires de ce pays et a ainsi encouragé le développement d’un artisanat d’art auquel se rattache depuis quelques années les drapós. Ceux-ci sont alors devenus des objets de collections recherchés par les étrangers surtout et les haïtiens dans une moindre mesure. Ceci a eu pour effet de multiplier la demande et, ainsi, on a vu les pionniers de cet art entrainer de plus jeunes qui, à leur tour, ont ouvert leur propre atelier.
Quoique faisant partie des cérémonies vaudou, le drapó n’est pas un objet chargé. Certes, pour le vodouisant, il est un objet de dévotion mais pour le collectionneur il est généralement un objet à grande valeur esthétique comme l’est un tableau ou une tapisserie. Aussi peut-on voir dans ces collections des drapós destinés au rituel, d’autres qui, par le même procédé sont créés exclusivement pour le marché. On assiste alors à un détournement qui sera poussé plus loin avec la fabrication de tapisseries qui, utilisant les même procédés techniques, sont ornés de motifs ou de portraits qui n’ont plus aucun rapport avec la religion populaire. De plus, le même procédé de broderie a permis, depuis peu, la réalisation d’accessoires de mode et d’objets de toutes sortes (coffrets, bouteilles…) habillés de tissus pailleté.
Il s’agit là essentiellement d’objets produits par des individus ayant acquis un savoir-faire qui en fait de véritables maîtres-artisans. Ce sont des objets dont la fabrication nécessite un travail patient, travail qui peut être jugé inutile, dans la mesure où ces objets n’ont aucune finalité fonctionnelle. Cependant à cause de leurs qualités esthétiques ces objets sont indéniablement les témoins de ce sens de la décoration, quelques fois excessive, qui caractérise les productions populaires : enseignes de commerce, panneaux publicitaires et décoration de bus de transport en commun ; autant de chose qui font des villes haïtiennes de véritables musées vivants.