Gérard de Nerval : voilà un autre auteur classique dont j'ai souvent entendu parler mais que je n'avais jamais pris le temps de découvrir. C'est après avoir entendu Hajar (misssugartown sur Youtube) parler de Sylvie que j'ai finalement décidé de me lancer. Si Gérard de Nerval est un poète majeur du XIXe siècle, il est également l'auteur d'un recueil de nouvelles qui s'intitule Les Filles du feu ; Sylvie est une des nouvelles de ce recueil.
Le récit progresse selon la logique d'une traversée de la mémoire : l'auteur met en scène des souvenirs personnels («à demi rêvés») et littéraires ; il témoigne d'une véritable érudition tout en faisant l'éloge de la culture populaire. La mémoire collective est pour lui assez vaste pour accueillir la réalité la plus ordinaire comme les mystères les plus sublimes.
Avec cette nouvelle des Filles du feu, Nerval dit adieu aux chimères de la jeunesse et de l'amour idéal. Ce récit poétique, entre romantisme et surréalisme, est déjà une recherche du temps perdu.
On le rencontre au théâtre : indifférent à la pièce et aux spectateurs, il est venu assisté à un « maussade chef d'oeuvre ». Seule l'actrice dont il est fou amoureux l'intéresse, « une apparition bien connue illuminait l'espace vide, rendant la vie d'un souffle et d'un mot à ces vaines figures qui m'entouraient. » Hélas, il sait que son amour est sans retour et qu'il n'a pas les moyens de séduire celle qu'il aime.Par hasard, il trouve de l'argent dans un journal et s'imagine qu'il pourrait la séduire avec cet argent avant de se raviser : « Non ! ce n'est pas ainsi, ce n'est pas à mon âge que l'on tue l'amour avec de l'or : je ne serai pas un corrupteur ». Il parcourt finalement le journal en question et y voit l'annonce d'une fête dans la ville de Loisy, le village de son enfance. Il se souvient alors de ces fêtes et de Sylvie, son amour de jeunesse.Une scène en particulier revient à sa mémoire : celle de sa rencontre avec Adrienne, une jeune fille qui était destinée à la vie religieuse. Lors d'une fête à laquelle il avait emmené Sylvie, il s'était retrouvé à danser avec Adrienne dont il était immédiatement tombé sous le charme. Sylvie s'en était aperçu et en avait pleuré de jalousie. Notre héros était ensuite parti faire ses études à Paris, triste d'avoir perdue une amie et un amour impossible.
Grâce à ce souvenir, ses sentiments s'éclairent alors en lui : « Tout m'était expliqué par ce souvenir à demi rêvé » nous avoue-t-il. L'amour impossible qu'il voue à l'actrice de théâtre est le même que celui qu'il portait à Adrienne. Le souvenir de Sylvie s'impose alors parmi tous les autres, et le héros semble réaliser qu'il l'a délaissée au profit d'amours plus passionnés mais moins réelles. Emporté par ce souvenir, il décide alors de prendre un fiacre et de se rendre à Loisy, où il espère arriver en trois ou quatre heures.Alors qu'il fait route vers Loisy, tous ses souvenirs remontent à sa mémoire : « Pendant que la voiture monte les côtes, recomposons les souvenirs du temps où j'y venais si souvent. » Commence alors une véritable recomposition de son passé, une fouille minutieuse à travers ses souvenirs. Le souvenir de trois femmes vont se mélanger, se confondre presque et vont permettre au héros de faire le point sur ses amours.
Mais que va-t-il faire quand il arrivera à Loisy ? Les sentiments de Sylvie auront-ils changés ou l'attendra-t-elle, comme il le suppose ?
La particularité de ce récit est que les souvenirs du narrateur se confondent avec temps présent. Les époques se mélangent et donnent un cocktail déconcertant. Le lecteur se sent comme dans un rêve, ce qui n'est pas sans rappeler le contexte dans lequel le narrateur nous raconte son histoire : il est une heure du matin, il ne parvient pas à dormir et a décidé à la dernière minute de prendre un fiacre pour faire environ 4 heures de route ! On peut ainsi penser que l'état de fatigue du narrateur ajoute une dimension onirique à ses souvenirs.
« Plongé dans une demi-somnolence, toute ma jeunesse repassait en mes souvenirs. Cet état, où l'esprit résiste encore aux bizarres combinaisons du songe, permet souvent de voir se presser en quelques minutes les tableaux les plus saillants d'une longue période de la vie. » Chapitre 2Si le récit mélange les époques de façon à confondre le lecteur, le style de Gérard de Nerval contribue également à créer cette atmosphère particulière et onirique. En effet, on sent que l’auteur n’est pas seulement romancier mais aussi poète. Grâce à un vocabulaire bien choisi et à des images précises et justes, Nerval parvient à reconstituer des paysages entiers et à transporter le lecteur dans une atmosphère riche de détails.
« La lune se cachait de temps à autre sous les nuages, éclairant à peine les roches de grès sombre et les bruyères qui se multipliaient sous mes pas. A droite et à gauche, des lisières de forêts sans routes tracées, et toujours devant moi ces roches druidiques de la contrée qui gardent le souvenir des fils d'Armen exterminés par les Romains ! Du haut de ces entassements sublimes, je voyais les étangs lointains se découper comme des miroirs sur la plaine brumeuse, sans pouvoir distinguer celui même où s'était passée la fête. » p.XX, chapitre V : Le VillageDans cet extrait, Gérard de Nerval nous décrit un paysage qui semble refléter les émotions de son personnage ; les éléments qu’il assemble entre eux créent une ambiance et forment un tout harmonieux. L’atmosphère créée par Nerval est selon moi si unique et si complète que la scène nous donne presque l’impression d’être mystique.
De plus, le héros de Nerval est selon moi un vrai héros romantique. Fasciné par les époques passées, empreint de mélancolie et de nostalgie, il ne parvient pas à se faire à son époque et ne peut se résoudre à evoluer au présent. La scène du Chapitre 6 en est un parfait exemple selon moi : on y voit l'émerveillement du héros face à une robe et des objets qui lui rappellent une époque révolue. A l'inverse, Sylvie est impatiente et ne porte pas attention à tous ces trésors.
« "La fée des légendes éternellement jeune!..." dis-je en moi-même – Et déjà Sylvie avait dégrafé sa robe d'indienne et la laissait tomber à ses pieds. La robe étoffée de la vieille tante s'ajusta parfaitement sur la taille mince de Sylvie, qui me dit de l'agrafer. « Oh ! les manches plates, que c'est ridicule ! » dit-elle. Et cependant les sabots garnis de dentelles découvraient admirablement ses bras nus, la gorge s'encadrait dans le pur corsage aux tulles jaunis, aux rubans passés, qui n'avait serré que bien peu les charmes évanouis de la tante. "Mais finissez-en ! Vous ne savez donc pas agrafer une robe ?" me disait Sylvie. Elle avait l'air de l'accordée de village de Greuze. "Il faudrait de la poudre, dis-je. ― Nous allons en trouver." Elle fureta de nouveau dans les tiroirs. Oh ! que de richesses ! que cela sentait bon, comme cela brillait, comme cela chatoyait de vives couleurs et de modeste clinquant ! deux éventails de nacre un peu cassés, des boîtes de pâte à sujets chinois, un collier d'ambre et mille fanfreluches, parmi lesquelles éclataient deux petits souliers de droguet blanc avec des boucles incrustées de diamants d'Irlande ! "Oh ! je veux les mettre, dit Sylvie, si je trouve les bas brodés !" »
Le style de Gérard de Nerval est très poétique et très imagé, mais je ne peux pas vous cacher que je l'ai aussi trouvé assez dense et qu'
une seconde lecture m'a été absolument nécessaire. Lors de ma première lecture, j'ai souvent survolé des passages que je trouvais trop lourds en essayant de me concentrer sur l'intrigue pour ne pas passer à côté d'événements importants. Malgré ça, j'ai senti le besoin de relire le livre pour bien comprendre l'enchaînement des événements. J'ai eu du mal à bien avoir en tête la chronologie des événements et à distinguer les souvenirs de la réalité. Lors de ma seconde lecture, j'ai ainsi pris le temps de résumer les chapitres quand je lisais et de noter les événements importants. C'est un travail que je fais très rarement, mais qui est parfois nécessaire et très bénéfique ! Ça m'a vraiment permis d'y voir plus clair.En fin de compte, c'est un roman que j'ai plutôt bien aimé. La langue de Nerval est incroyablement riche et sensible, je crois que je n'avais jamais rien lu de tel avant ! C'est une histoire qui plaira donc beaucoup aux amoureux des mots et des histoires riches en paysages quasi-légendaires et en sentiments amoureux. En revanche, ce n'est pas un livre que je conseillerais à tout le monde : il faut aimer les textes denses et avoir l'envie de s'y piquer un peu et de prendre son temps si nécessaire. Je pense que cette lecture est tout sauf une lecture qu'on presse.
Vous arrive-t-il d'avoir besoin de résumer un livre pour y voir plus clair ? Avez-vous déjà lu Sylvie ou une autre oeuvre de Gérard de Nerval ?