Mozart in the Jungle est une nouvelle comédie dramatique signée Amazon. Le pilote ayant été mis en ligne le 6 février, c’est grâce au vote populaire qu’elle a pu bénéficier d’une saison complète de dix épisodes qui est disponible aux abonnés depuis le 23 décembre. Le tout commence avec un concert qui est donné par l’orchestre philharmonique de New York pour le départ plus ou moins volontaire de son chef, Thomas (Malcolm McDowell). C’est que la directrice, Gloria (Bernadette Peters) vient d’engager la coqueluche du moment, le jeune prodige Rodrigo (Gael Garcia Bernal) dont les méthodes peu orthodoxes auront de quoi déstabiliser les musiciens. En même temps, entre en scène l’hautboïste Hailey (Laura Kirke) qui devient son assistante personnelle, en attendant de concrétiser son rêve : devenir membre de l’orchestre. Inspirée de l’autobiographie de Blair Tindall intitulée Sex, Drugs and Classical Music, Mozart in the Jungle est une incursion fascinante au cœur d’un lieu de travail dont on ne connaît à peu près rien et qui a pour thème central la musique classique, à tord dédaignée par une grande partie de la population. Faussement promue comme étant subversive, ses personnages principaux manquent d’un peu de mordant, mais la série vaut assurément que l’on s’y attarde.
Un long métrage scindé
Hailey joue du hautbois depuis toujours et lorsqu’elle apprend que Rodrigo tient des auditions, elle se précipite sur l’occasion. Son talent naturel ensorcelle le chef d’orchestre et il l’embauche, mais voilà qu’à sa première répétition en groupe, la nervosité l’emporte et elle est renvoyée. Rodrigo qui tient tout de même à elle l’embauche à ses côtés. Dès lors, elle s’incruste dans le quotidien hors de l’ordinaire du prodige. À l’image justement de Mozart, Rodrigo est à la fois épris de musique classique, mais est frustré par son côté élitiste et cherche par tous les moyens à la rendre accessible au public large. Thomas est son antithèse, une sorte de Salieri qui bien en place, ne voit aucune raison de bouleverser le cours des choses et jalouse ouvertement le jeune rebelle. Parmi les membres de l’orchestre, mentionnons Cynthia (Saffron Burrows), maîtresse de Thomas et violoncelliste et Betty (Debra Monk), hautboïste qui ne cache pas son animosité envers Hailey, qu’elle considère à tort comme une parvenue. Toutes trois sont par contre des fans inconditionnelles de Rodrigo et n’hésitent pas à sortir de leur zone de confort, à l’opposé de Waren (Joel Bernstein), joueur de flûte traversière et président du syndicat des musiciens, dont les règlements qu’il veut suivre à la lettre mettent constamment des freins au chef d’orchestre.
Un pilote, c’est fait pour séduire un auditoire potentiel, ce qui a fonctionné avec Mozart in the Jungle qui s’est vue attribué une saison complète à la suite du vote populaire. Mais lorsque l’on entame la série, on s’éloigne peu à peu de la ligne directrice censée nous amener dans les coulisses d’un orchestre où règnent le sexe et la drogue. En fait, on retrouve peu de sexe et peu de drogues et franchement, c’est tant mieux. Lentement, mais sûrement, on tisse une toile narrative et rarement on en a assez d’un seul épisode à la fois. Gageons que de par son rythme lent, la série n’aurait pas eu les reins assez solides pour un mode de diffusion traditionnel sur un des grands réseaux. Comme l’écrit Pierre Sérisier dans cet article consacré à Amazon, le géant de la vente en ligne est qualifié de mécène et l’association de celui-ci avec HBO nous donne un style qui détonne quelque peu de Netflix, beaucoup plus artistique, mais en revanche plus lent. En fin de compte, de ces épisodes de 30 minutes que l’on ne peut s’empêcher d’écouter en boucle, la vraie héroïne, c’est la musique classique qui n’a malheureusement pas la cote dans notre société.
« Classical music is not a business »
Des compositions qui ont des centaines d’années, interprétées dans une salle de concert luxueuse : la musique classique est perçue comme étant élitiste et pourtant, c’est un genre qui perdure à travers les siècles et d’où découlent tous les autres genres. Malgré tout, l’orchestre ne cesse d’avoir recours à des événements de charité pour renflouer ses caisses. C’est justement la raison pour laquelle Gloria embauche Rodrigo qui a ce souci de démocratiser son art. Deux scènes d’une grande beauté viennent appuyer cet objectif : l’une où des membres de l’orchestre jouent dans un hôpital pour un de leurs musiciens en convalescence et une autre alors qu’ils répètent dans un ghetto du Queens devant des enfants ébahis. Ici, on se rend compte à quel point le genre est déconnecté de cette classe défavorisée alors que ces jeunes ne peuvent même pas nommer la moitié des instruments. En même temps, la musique classique est sûrement le genre le plus universel qui soit et ne repose que sur le talent; ainsi, se côtoient sur scène des musiciens de tous âges, de toutes nationalités. On est loin des groupes de musique, quelques fois associés à un groupe ethnique ou à un lieu, qui ne connaîtront qu’une carrière éphémère et où la beauté des chanteurs compte pour beaucoup dans la balance et c’est ce que la série met en lumière.
Autre point fort dans Mozart in the Jungle, c’est de parvenir à intégrer la musique classique en tant que trame sonore. Ainsi, qu’il s’agisse de moments de tension, de quiétude, de désespoir ou autre, on nous arrive toujours avec un air qu’il soit de Bizet, de Mozart, de Vivaldi; comme quoi le genre est richissime et peut servir à n’importe quelle sauce. Et petit clin d’œil à l’industrie : Hailey pour arrondir ses fins de mois doit jouer du hautbois dans un music-hall pour une production minable. À un moment, on voit un spectateur en train de filmer la prestation avec son téléphone intelligent. L’acteur, dont le sang ne fait qu’un tour, arrête sa prestation, proteste en vertu des lois sur les droits d’auteur et se jette littéralement sur le malheureux… Qu’on se le tienne pour dit!
Après Transparent qui s’est valu une nomination dans la prochaine course aux Golden Globes (11 janvier), Amazon a le vent dans les voiles et Mozart in the Jungle nous offre encore une fois une série sur un univers peu exploité par les grands réseaux américains. Dans ces deux cas, les critiques ont été à majorité très positives, mais entre ces « juges » du bon goût et ce que les téléspectateurs veulent voir, il y a souvent un monde. À l’image de Rodrigo qui cherche à démocratiser son art, la série fait de même… y parviendra-t-elle? En tous les cas, chapeau à Amazon de se lancer dans cette voie.