Paul-Marie Lapointe est à mon avis le plus grand vers-libriste que nous ayons eu au Québec. Poète jouissant d’une grande inventivité verbale, il a su creuser jusqu’en leur ultime profondeur les sources du langage, ce dont témoigne son œuvre dès son premier recueil de 1948, Le vierge incendié. Dans Espèces fragiles, son dernier ouvrage, Lapointe atteignit un sommet que ne peuvent que lui envier tous ceux qui s’adonnent à l’art difficile d’écrire des vers. Dans Terres brûlées, la première partie du livre, c’est tout une mythologie et une historiographie fantastique à laquelle nous sommes conviés. Dès le premier poème (Île sèche), on est frappé par la puissance et la beauté des vers :
le mirage en désert s’agite
oasis de sel où chassent les requins
parmi les palmes d’éternité
vertes et lentes
La seconde partie, Stèles, contient de très beaux tombeaux, dont celui intitulé Coltrane, qui rend si bien une certaine fureur du jazz moderne et l’âme du grand jazzman qui révolutionna son art. Mais jugez-en par vous-même :
torrent torride l’
arcane d’acier fuse
bataille et bouscule
blessure de l’
âme alarmée qui
rage refuse et rêve
nirvana nébuleuse noire qu’
appelle à l’adoration
Coltrane
ouragan
oraison
souffle suprême
Grand chercheur d’absolu dans la beauté du verbe et des choses (l’auteur parle d’ailleurs si bien de la nature), Lapointe sait également décrire l’objet évanescent avec beaucoup de finesse, comme on le voit dans un poème intitulé Libellule et dans Lucioles (voir la quatrième et avant-dernière partie). Le poème qui ouvre cette quatrième partie (Pluies) est pour moi un vrai miracle zen (je déteste franchement notre façon de galvauder ce mot, zen, mais je crois qu’ici il s’applique parfaitement, tellement ce texte est à la fois simple, suggestif, et propre à induire la méditation).
Âme éprise d’infini qui en 2011 rejoignit son Oméga, Lapointe nous donnait en 2002 un testament rempli de force, d’un réel esprit de jeunesse et de beauté transcendante. Et j’ai d’ailleurs envie de conclure cette courte chronique (devant Lapointe, je ne sais que répéter mon ébahissement) par ces mots du poète : qui s’interdit l’infini / pourrira dans sa mort.
Frédéric Gagnon
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Lapointe, Paul-Marie. Espèces fragiles, Montréal, L’Hexagone. 2002.
(J’ai dit que cet ouvrage était le dernier de Lapointe. Il est vrai qu’il publia en 2004 L’espace de vivre, mais il s’agit d’une rétrospective, également publiée à L’Hexagone).