Vous savez ces attraits inexplicables que l’on sent vis-à-vis certains bouquins, avant même de les lire ? Meurtre à l’hôtel Despréaux est un de ceux-là. Pourtant, la littérature du moyen-âge n’est pas mon fort, loin de là, je l’appréhende même un peu. Peut-être est-ce le rajout, sur l’irrésistible couverture, de la précision « Les chroniques de Gervais D’Anceny » accompagnée de l’illustration d’un moine penché sur l’écriture, plume à la main qui m’a attiré. Si c’est cela, je n’ai pas été déçue puisqu’il est fort question d’écriture puisque Gervais D’anceny, en tant qu’oblat* d’un monastère travaille à la retranscription de textes sacrés.
Habituellement il travaille, dois-je dire, car pour le besoin de l’histoire, il se rend à Paris aux fêtes entourant la visite de l’empereur germanique où il sera appelé à résoudre le mystère entourant le meurtre d’une jeune comédienne. Ça tombe mal, c’est le fils de sa nièce qui est accusé et celle-ci en en est traumatisée. C’est son seul rejeton et il n’est qu’un gamin de 15 ans. Oublier le support d’un tribunal de la jeunesse, si son oncle ne trouve pas le coupable, après avoir été humilié sur la place publique, il sera pendu sans autre procès. Et vlan, pour le côté expéditif des enquêtes du Moyen-âge. Heureusement, l’oncle est un fin renard et il lui reste des contacts parmi la haute société, des vestiges de son ancienne vie.
C’est en différé que nous apprendront les aléas de cette enquête car, une fois conclue, lui sera demandé de faire un compte-rendu écrit de l’enquête. Il s’empressera de s’exécuter pour plusieurs raisons, à commencer pour échapper au travail austère de retranscription et la plus importante : captiver son ami mourant avec une histoire qu’il écrira comme un roman (tiens tiens). Le lecteur reçoit les bribes de l’enquête au même rythme que l’ami agonisant dans le creux du lit de l’infirmerie.
Ces interruptions, coupant le fil de l’enquête, sont loin de frustrer le lecteur car il est également intéressant d’errer dans un monastère du moyen-âge. On y apprend que les moines ne sont pas des saints, encore moins des anges, puisqu’il y a des vols de nourriture en la demeure. Faut dire que sévit un carême des plus sévères. Gervais Anceny servira encore là d’enquêteur, cette fois en toute discrétion.
Nous suivons plusieurs histoires en simultané, alternant entre l’univers débridé d’un Paris en fête à celui cloîtré et rigide de l’abbaye. Par un tour de passe-passe, on fouinera à même les recettes de l’époque, soit entre les murs du monastère ou ceux, plus gargantuesques, de l’hôtel. Je peux vous assurer que ce Gervais est habile en tout, ce qui le rend attrayant malgré son âge vénérable. D’ailleurs, le pauvre, tentera de résister aux tentations de la chair féminine, ce qui fera sourire, même son ami mourant.
L’auteure a le don de décrire les univers, on s’y retrouve comme si elles nous étaient familières. Je dis un don quand c’est tout probablement la connaissance approfondie des faits historiques qui lui confère cette facilité.
On entre sans gêne dans les coulisses de la vie d’hôtel, apprenant à connaître les domestiques, les négociateurs, autant que les gens de la haute société. Toutes les couches de la société y passent. Cela m’a permis d’apprendre, avec surprise je dois dire, que le métier de comédienne en est un de bas étage, guère plus estimé que la prostitution.
Il est heureux qu’il y ait amplement matière à nous captiver dans cette triple histoire en une, car la lecture est assez exigeante, se méritant même un glossaire. J’ai trouvé un talent remarquable à l’auteure pour décrire les caractères, et il y en a une pluralité de laquelle, on ressort enchanté. Le style empreint d’un brin de théâtralité sied à ravir à ce siècle.
Ce qui fait que j’ai envie de la suite qui sortira en février : Les Chroniques de Gervais d’Annecy - Voleurs d’enfants de Maryse Rouy, polar historique.
* Oblat : Par le don d’une part de sa richesse au monastère, l’oblat jouit d’un statut particulier lui permettant de vivre comme les moines sans avoir à prononcer les voeux
Meurtres à l’hôtel Despréaux
Les chroniques de Gervais D’Anceny de Maryse Rouy,
Éditions Druide, septembre 2014
Polar historique de 296 pages.