d'après LE PÈRE MILON de Maupassant
Le vieux père Milon
Habitait une grande maison
Où il logeait, à l’étage,
Des officiers allemands
De tous grades, de tous âges.
Or, certaines nuits, les Uhlans
Constataient avec stupeur
Que tel rondier ou tel éclaireur
Pourtant exercé
Ne rentrait pas à leur P.C.
Et puis,
Un matin, le planton
De garde vit Milon
Rentrer
Chez lui
Le visage balafré.
Le colonel allemand
Jugea l’indice suffisant
Pour l’interroger.
Il s’assit en face de lui
Et lui dit en français :
-« Depuis que nous sommes ici,
Nous n’avons eu qu’à nous louer de vous.
Vous étiez attentionné pour nous.
Mais il faut que nous éclaircissions
Une terrible accusation
Qui pèse aujourd’hui sur vous.
Comment avez-vous
Reçu cette blessure
Que vous portez à la figure ? »
Milon ne répondit pas.
-« Cette nuit, qui a tué notre cavalier ? »
Le père Milon articula
Sans hésiter : -« C’est mé »
Le colonel demeura
Si étonné qu’il ajouta :
-« Connaissez-vous les auteurs
Des meurtres de nos éclaireurs ? »
Le vieux s’est exclamé :
-« C’est mé. »
-« Vous seul ? »
-« Mé seul. »
-« Comment vous avez fait ? »
-« Comment vous dire ça ?
Je sais-ti…Comme ça s’ trouvait. »
-« Vous allez tout m’avouer. »
-« Vous m’avez mis en d’ sales draps,
Vous et vos soldats,
Ha ! Ça, oui, da !
Vous m’avez pris du fourrage pour p’us
De chinquante écus
Et pi une vaque, deux moutons
Et une couvée de canetons.
J’ me suis dit : tant qu’i’ m’ prendront,
J’ leur y r’vaudrons.
V’la qu’un soir,
J’ vas m’apercevoir
Qu’un de vos types
Fumait sa pipe
Perché su l’ fossé.
J’allais décrocher ma faux.
Je r’vins sitôt
Et par derrière, j’ li coupai l’ cou
D’un coup.
J’ai pris tous ses effets,
Blouson, bottes, bonnet … »
(Du fait de sa fréquentation
Avec les soldats teutons,
Le vieux paysan
Avait su retenir
Quelques mots d’allemand.)
Un soir, ayant vu partir
Un rondier prussien
(Ah ! Il les haïssait bien
D’une haine hystérique
De paysan patriotique.)
Il entendit sa destination.
Et l’objet de sa mission.
À la tombée de la nuit, il revêtit
L’uniforme du soldat allemand
Qu’il avait tué et sortit.
Il se mit à rôder par les champs.
Soudain, il entendit galoper sur le chemin.
C’était le cavalier prussien.
Le père Milon s’approcha.
Dès que l’allemand fut à vingt pas,
Le vieux s’étendit sur le sol, tout raide,
Sans bouger et cria : « Hilfe ! à l’aide ! »
Sans rien soupçonner,
Le cavalier se pencha sur l’inconnu,
…Et reçut
Un terrible coup de sabre sous le nez
Milon enfourcha son cheval et s’enfuit
À toute vitesse dans la nuit.
Une heure après,
Milon aperçut deux autres cavaliers
Qui rentraient
À leur quartier.
Il fonça au galop droit sur eux,
Passa entre les deux
Comme un boulet
Et les tua à coups de pistolet.
Ensuite, durant quatre jours,
Il ne quitta plus sa maison,
Attendant prudemment la conclusion
De l’enquête. Le cinquième jour,
Milon
Repartit
Et tua de la même façon
Deux autres ennemis.
Dès lors, il ne s’arrêta plus.
Chaque nuit, il abattait des uhlans.
Il les couchait tout nu
Le long des champs,
Cachait leurs uniformes soigneusement,
Et reprenait ses habits de paysan.
Le colonel lissa son bouc blond :
-« Vous n’avez plus rien à dire, Milon ? »
-« Non, p’us rin. Seize, j’en ai zigouillé ! »
-« Vous allez être fusillé. »
-« Oui, j’sais. Mais sachez qu’ dans l’temps,
Nous aussi, on a fait campagne
Jusqu’en Champagne
J’ vous ai d’mandé grâce à aucun moment.
Pourtant, vous avez tué mon père
Soldat de l’Empereur premier.
Sans compter qu’ le mois dernier
Vous avez tué mon fils Pierre
J’ sommes quitte. Pour mon père, huit.
Pour mon fieu, huit.
J’ai pas été vous chercher querelle.
J’ vous connais point, vous l’ colonel.
J’ sais pas d’où qu’ vous v’nez.
Mais vous v’là chez mé,
Vous y régentez en grand manitou
Comme si vous étiez chez vous
J’ m’ suis vengé. »
Une minute après,
Milon, collé au mur, fut fusillé.