Selon The Economist, en dépit d’une croissance exponentielle sur les six dernières décennies, les marges des compagnies aériennes ne sont pas allées au-delà d’un maigre 1% et leurs profits par passager s’élevaient à 4 dollars en 2012.
Pendant les années 80, la libéralisation des transports aériens avait conduit à la privatisation des compagnies détenues par les Etats, en ramenant la concurrence dans le secteur. A partir des années 90, les compagnies à bas prix ont bouleversé le modèle économique de ces acteurs qui font aussi face aujourd’hui à la concurrence des compagnies nationales des Pays du Golfe, parfois accusées de bénéficier de subventions de la part de leurs gouvernements respectifs. Les marges, déjà restreintes, subissent aussi la pression causée par le manque de concurrence chez les fournisseurs, la plupart des avions étant fournis par Airbus et Boeing.
Les compagnies sont en outre très exposées aux variations du prix du pétrole, ainsi qu’au risque Pays (guerres, embargos) et au risque Catastrophe (épidémies, attaques terroristes ou encore éruptions volcaniques). Les crises ukrainiennes et irakiennes, ou l’éruption de l’EyjafjĂśll en 2010, ont impacté fortement les compagnies en les forçant à changer leurs plans de vol ou en bloquant le trafic aérien pendant des jours. C’est aussi en raison de ces difficultés que le secteur a été défini par Warren Buffet comme un « piège mortel » pour les investisseurs.
Des méthodes de financement variées
La présence d’équipes dédiées aux financements d’aéronefs dans les BFI au sein des pôles de financements structurés est donc justifiée par la complexité et les spécificités du secteur. Avec l’aide des banques, les compagnies aériennes utilisent des solutions hybrides en combinant différentes techniques pour l’achat des avions :
- Cash – le moyen le moins couteux ; cependant, très peu de compagnies peuvent acheter un avion entièrement sur la base de leur trésorerie disponible.
- Leasing opérationnel – il peut durer quelques mois ou plusieurs années et permet d’adapter rapidement la taille de la flotte aux conditions du marché. Souvent, l’option choisie est celle du sale & leaseback.
- Prêt bancaire –Souvent, la banque revend des parties du prêt à d’autres banques pour mieux gérer le risque (crédit syndiqué).
- Financement export – le gouvernement du pays du constructeur intervient pour garantir le prêt via une Export Credit Agency (ECA), en baissant le coĂťt du financement car le risque crédit pour la banque cesse d’être celui de l’opérateur et devient le risque souverain de l’ECA. Cela permet, de rendre un constructeur plus compétitif vis-à-vis de ses concurrents étrangers et de rendre accessible le financement dans le cas d’une compagnie aérienne avec une mauvaise notation de crédit. En France, c’est la Coface qui couvre le risque d’interruption de paiement, le risque politique et le risque catastrophe.
- Tax lease – le gouvernement intervient avec des réductions d’impôts. Souvent, ces avantages sont passés par la compagnie à des tiers auxquels elles vendent l’actif pour le reprendre en leaseback. Les modalités d’application de cette méthode varient selon le pays. Les plus utilisés sont les « Japanese Operating Leases » (JOLs), financés en partie ou en totalité par un investisseur japonais ou par du capital provenant du Japon. L’investisseur nippon finance alors une partie de l’achat en capital, en échange des avantages fiscaux associés et en prenant une partie du risque dans l’actif sous-jacent pour toute la durée de la transaction (environ 10 ans).
- Autres – les instruments spécifiques sont prévus aussi par la finance islamique.
Selon Airfinance Journal, magazine spécialisé, la plupart des transactions sont aujourd’hui effectuées par leasing opérationnel, le crédit commercial étant le deuxième choix suivi par le financement export.
Les banques historiquement les plus actives en financement d’avions sont les BFI européennes, suivies par leurs homologues américains. Notamment, les leaders sont CA CIB et BNPP CIB suivies par Goldman Sachs, Deutsche Bank et Citigroup. Les sociétés de leasing sont elles aussi financées par les BFI. Les plus importantes sont l’américaine GE Capital Aviation Services – qui détient plus de 1600 avions – et la néerlandaise AerCap – qui détient plus de 1300 avions après l’acquisition de l’International Lease Finance Corporation (ILFC).
L’Asie rugit
En 2014, le nombre de nouveaux financements a fortement diminué (environ -70% en Q3 2014 par rapport au même trimestre de l’année précédente, selon Airfinance Journal), la plupart ayant été réalisés en Asie. C’est cette région – et surtout la Chine – qui se taille la part du lion : les dernières années ont vu un boom de compagnies à prix bas locales, ainsi qu’une forte augmentation du nombre de passagers. En Europe et aux Etats-Unis, c’est surtout le besoin d’avions plus efficients en termes de consommation de combustible qui a soutenu la demande, couplé avec le vieillissement des flottes nord-américaines.
Les compagnies des pays émergents, tout comme les compagnies plus petites ou plus récentes des pays développés, ont commencé à acheter des avions neufs plutôt que des appareils d’occasion : une évolution destinée à diminuer la liquidité des avions sur le marché secondaire, en affectant les coĂťts et les structures de financement sur le marché primaire. Comme le rappelle Aviation Week, une tendance déjà identifiée depuis quelques années – causée aussi par la disponibilité de nouveaux moteurs plus performants – est la diminution de la vie moyenne des avions, qui sont désassemblés avant les 25 ans habituels. Pour ces avions, la valeur des parties revendues indépendamment est supérieure à celle de l’appareil entier.
Du côté des banques, les BFI européennes ont toujours des difficultés d’accès à la liquidité en USD (les financements sont effectués pour la plupart en dollars) et elles essaient de garder sous contrôle – voir de réduire – la taille de leurs bilans. En revanche, leurs contreparties asiatiques sont de plus en plus dynamiques, surtout au Japon et en Chine.
Plus compliquée, en revanche, pourrait devenir la position de US Ex-Im Bank : les républicains l’accusent de supporter les producteurs avec des aides d’état, et les compagnies aériennes américaines de favoriser leurs concurrents étrangers. Les démocrates, eux, soulignent que beaucoup de postes seraient menacés chez les PMEs du secteur en cas de fermeture de la banque, soutenue aussi par les grands groupes qui bénéficient de son action comme Boeing et GE. La ré-autorisation a été récemment renouvelée de façon temporaire pour un an – ce qui a durement été critiqué par Boeing – dans l’attente d’une décision finale du Congrès. Entretemps SINOSURE, l’ECA chinoise, augmente son activité en favorisant les producteurs locaux chinois (+16% de financements export en 2013 selon le FT).
Conclusions
Le secteur fait aujourd’hui face à des problèmes de liquidité et à des marges réduites. Néanmoins, les compagnies aériennes ont toujours réussi à trouver des sources de financement pour leurs achats, et elles devraient continuer à le faire. Dans un marché toujours plus volatile, les sociétés de leasing devraient donner aux compagnies aériennes la flexibilité nécessaire et leur permettre de libérer de la liquidité. Même si elles aussi font face aux difficultés d’accès aux financements lors de l’acquisition des appareils, et sans oublier les contraintes apportées par la diminution de la vie moyenne des avions, leur rôle devrait rester prépondérant.
Le futur du secteur pourrait donc bien se jouer en Asie et surtout en Chine. Le géant asiatique, en outre, bénéficie aussi de plus de liberté de manĹ“uvre, en n’ayant par exemple pas signé les accords internationaux qui limitent l’activité de financement export.
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