Person souligne l’importance de son parcours de lecteur, l’envahissement des livres des autres sur son désir d’écrire. De la difficulté à s’affranchir de ce qu’on a lu, de ce qu’on a aimé. Une lecture intensive peut-elle empêcher de trouver son style ? Encore une fois je me disais que je n’avais pas trouvé ma forme. Comment se débarrasser des références ? Autant de questions que pose cette écriture du manque où je perçois, entre les lignes, l’objectivité onirique d’une certaine poésie américaine (Michael Palmer), revue par le filtre de la poésie française (Emmanuel Hocquard). Où je perçois également des visons de cinéma : la fille de la boulangerie qui permettrait de faire un poème, comme Godard voyait dans une caissière de supermarché l’héroïne virtuelle d’un film qu’il ne réalisa pas. La prose de Person semble chuchotée comme la voix de JLG dans les Histoires du cinéma, voix off mais cependant intime, intérieure. Voix mentale sur la partition des rêves éveillés d’un homme qui se met à sa table pour la énième fois, procrastination constante, … Oui, mon livre serait ainsi fait de courts récits insignifiants, minces événements que je ne saurais pas interpréter.
Les souvenirs de lecture circulent dans la mémoire – Hocquard, Lucot, Celan, Cixous - se transforment sous la plume du critique, dans un élan qui le fait écrire au-delà de la critique. Souvenirs éclatés, fragments sollicités, égarés, retrouvés, éclairés autrement. La froideur du jugement est reléguée par la puissance du rêve, du passé, de l’impossible retour.
Approfondir des idées est moins grand qu’approfondir des réminiscences… L’intelligence ne crée pas, elle ne fait que débrouiller.*1 Ce livre sollicite la sensibilité plus que l’intelligence, il favorise cette part obscure en nous qui dure, palpite, à la surface de la conscience, reflue à nouveau, pour notre plus grand bonheur.
[Véronique Pittolo]
Xavier Person, Une limonade pour Kafka, éditions de l’Attente
*1 Proust, Contre Sainte-Beuve.