En voilà une idée ! Pourtant, cette pratique devenue monnaie courante qu’est la précommande finit par nous enfermer dans un cercle vicieux, qui ne profite en rien aux joueurs. Ni à personne d’autre qu’aux éditeurs…
Les précommandes, est-ce bien raisonnable ?
Pourtant, bien des éditeurs nous donnent l’impression que leurs produits sont rares, difficiles à trouver, exclusifs et indispensables. Même pour des titres qui seront livrés, si on peut encore utiliser l’expression, en une version dématérialisée. Oh, mais, j’en entends qui clament que si on précommande assez tôt, au moins 6 mois lorsque ce n’est pas 1 an à l’avance, on aura droit à un DLC spécial gratuitement. De mieux en mieux. Autant un DLC sorti 1 an après le titre qu’il sera sensé augmenter en contenu peut être justifié. Autant en promettre avant la sortie d’un titre, c’est, de manière détournée, dire que ce contenu sera en fait amputé de l’œuvre principale, pour y être vendu le jour de sa sortie, en lieu et place de faire partie intégrante du jeu en « day one ».
Un autre avantage cité pourrait être une réduction sur le prix de lancement. Mais encore une fois, cela ne tient pas la route, puisque les réductions, dans les 15 jours après lancement d’un titre, dépassent le plus souvent celles accordées en cas de précommande.
Devenir la banque de multinationales, quelle idée…
À la différence de « petits » indépendants du jeu vidéo, qui proposent le principe de financement d’un titre pour y avoir son mot à dire, tout comme un accès en alpha, les grands éditeurs ne nous écoutent pas. Par contre, ils encaissent l’argent à l’avance, argent qu’ils feront circuler et qui servira à financer, entre autres, le développement du jeu qui nous intéresse. Et c’est bien là que le système est vicieux : plus nombreux seront ceux qui précommandent un titre, plus l’éditeur pourra souligner que son titre, pas encore sorti, est déjà un succès, et en augmenter l’envie de précommande chez d’autres joueurs. Des arguments que ces rois du marketing n’omettront pas d’ajouter, en plus des avis triés sur le volet relatifs aux previews, lors des diffusions de trailers tous plus alléchants les uns que les autres. Cela en évitant le plus soigneusement possible de montrer trop de séquences in-game, juste avant l’inévitable « précommandez dès maintenant » en toute fin de teaser. Un fantastique outil qui permet de prolonger la durée de vente d’un titre. Non pas après disponibilité, mais avant. Une aubaine pour l’éditeur, qui se transforme en entourloupe pour l’acheteur compulsif, qui finit par se détacher des réflexes qui semblaient encore censés il n’y a pas si longtemps : s’informer sur un jeu, auprès d’amis qui l’ont et peuvent le faire essayer ou en lisant des tests issus de nombreuses sources, et enfin se décider à passer à la caisse. Seulement voilà, lire un test 10 jours avant la sortie d’un titre devient mission impossible. Devinez pourquoi…
Verticalité capitaliste en interne, mais communication horizontale quasi communiste
Nos amis éditeurs ne sont pas stupides, loin de là. Pourquoi risquer de voir une critique négative tomber 10 jours avant la sortie d’un titre, et risquer, du coup, de voir les ventes plombées ? La solution : l’embargo. La pratique n’est pas toute jeune, mais les choses ont changé ces dernières années. Si, il y a encore 4 ou 5 ans, recevoir un code review pour un jeu se faisait généralement au moins 15 jours avant la sortie, non content d’adjoindre un NDA (agrément de non-divulgation) incluant une date limite, le fameux embargo, pour publication, les conditions se sont resserrées. Il est devenu monnaie courante de recevoir le code (ou un code de téléchargement par mail…) le lendemain de la sortie du titre, avec un embargo pour… la veille ! Autrement dit, impossible d’en parler avant la sortie, et ce, même en bien si le titre est bon. Triste époque.
Cette mutation de la communication autour du jeu vidéo, qui n’est pas prête de s’arrêter, souligne une stratégie de plus en plus marquée tournant autour de ce que l’on pourrait appeler un horizontalisation de cette dernière. Non contents de vouloir la maîtriser dans son ensemble, en ne diffusant que ce qu’ils veulent montrer et uniquement cela, les éditeurs se sont affublés d’une armada de PR externes, qui diffusent en boucle un seul et unique message, identique aux campagnes marketing. Des communiqués, des trailers, mais rien de plus. Pire encore, ces « hommes-sandwichs » sont devenus les interlocuteurs uniques des critiques de jeu vidéo. En s’arrangeant au passage pour ne leur donner aucun grain à moudre, aucune information ou code de jeu permettant d’émettre une critique avant l’heure. C’en est devenu risible, tant les PR externes, payés justement sur les budgets publicitaires (le PR, ou public relations, fait partie du budget « hors-média », au même titre qu’une campagne d’affichage publique…), du fait qu’ils sont mandatés, sont les mieux placés pour ne rien savoir de plus que ce pourquoi ils sont payés. Un superbe firewall ne permettant plus, ou très difficilement, d’approcher les vrais responsables des titres édités, enclins à en parler réellement et de grappiller quelques bribes d’informations supplémentaires au passage.
La solution : la patience
Cette tendance, qui, après réflexion, frise souvent l’absurdité, risque bien de s’amplifier jusqu’à plus soif. Il suffit de regarder la communication diffusée directement sur nos consoles. Pourquoi aller chercher une critique ailleurs si, dans notre salon, on peut jouer, visionner des trailers, et, en deux pressions sur le pad, précommander un nouveau titre ? Et c’est bien connu, plus le chemin vers l’achat compulsif est court, plus il sera courant. Et plus cela confortera les éditeurs à continuer dans ce sens, en ne prenant plus les tendances, et encore moins, en écoutant les joueurs. Par contre, ce que les éditeurs écoutent, c’est leurs actionnaires, et la façon la plus efficace pour nous adresser directement à ces Messieurs, c’est simplement d’être patients. Est-ce finalement si difficile d’attendre 15 jours après la sortie d’un jeu pour se décider à l’acheter, après s’être renseigné et l’avoir essayé, si possible ? Ce serait, au moins, une façon de montrer à ces Tout-Puissants que l’on peut encore « voter », choisir et décider de nos actes en jugeant sur pièce un produit fini. Et non pas en finançant une promesse, qui n’est finalement que l’illusion d’un besoin qu’ils ont pris le temps de faire germer dans nos esprits…
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