un amour impossible

Publié le 05 janvier 2015 par Dubruel

d'après LA REMPAILLEUSE de Maupassant

-« Pendant cinquante ans,

Une femme aima un homme passionnément. »

Nous racontait le médecin.

La marquise applaudit des deux mains :

-« Il a dû bénir l’existence

Celui qui fut aimé

Avec une telle constance ! »

Le médecin poursuivait :

« Elle l’aima jusqu’à son décès.

Et l’être aimé,

C’est Paul Forcat, le pharmacien.

Vous le connaissez bien.

Elle, c’était Marie, une rempailleuse.

Depuis longtemps tuberculeuse,

Elle me fit appeler à son chevet.

Le curé était déjà arrivé.

Elle ne quittait plus le lit

Et nous raconta sa vie :

Le jour de ses douze ans,

Elle croisa

Le jeune Forcat

Qui venait d’être dépouillé

De son porte-monnaie

Par un chenapan.

Comme il sanglotait,

Elle a, voulant le consoler,

Osé l’embrasser.

Mais, pour avoir accepté ce baiser,

Paul lui a réclamé

Une pièce d’un franc

Qu’il saisit avidement.

Dorénavant,

Et pendant les quatre ans suivants

Le jeune grippe-sou,

Ce fils de bourgeois,

Ne se laissait embrasser

Que si Marie lui versait,

À chaque fois,

Une poignée de sous.

Elle a ainsi englouti

Toutes ses économies.

Puis Paul fut mis en pension

Pendant trois longues saisons.

À son retour, quand il passait

Près de Marie, il feignait

De ne pas la voir.

Elle en pleurait de désespoir.

Quand il eut vingt ans,

Paul s’est fiancé

À une femme très distinguée..

Marie ressentit l’évenement

Si douloureusement qu’elle se jeta

Dans l’étang des Grichats.

Un passant la repêcha et la porta

Jusqu’à la pharmacie Forcat.

Le potard descendit en pyjama.

Sans paraitre

La reconnaitre,

Il la déshabilla, la frictionna,

Et, hypocrite, la questionna :

« Pourquoi vous êtes-vous jetée dans l’étang ? »

Pour ses soins,

Paul n’acceta point

L’argent de la rempailleuse.

Mais elle, toujours amoureuse,

Ne cessa toute sa vie

D’acheter ses médicaments

Dans cette pharmacie

Afin de voir Paul régulièrement.

Juste avant de mourir,

Elle m’a chargé

De lui remettre toutes ses économies :

Trois cent vingt-sept louis !

Pour les frais de l’enterrement.

J’en ai laissé trente-six au curé,

Le brave abbé Dalban.

Et de là,

Je me suis rendu à la pharmacie.

Dès que Forcat

Entendit qu’il avait été aimé

Par la rempailleuse,

II bondit d’indignation.

Il la traita de rouleuse :

Elle lui avait volé sa réputation !

Quant à son épouse, elle répétait :

-’’Cette gueuse !

Cette gueuse !

Elle méritait la prison

Ah ! oui, je vous en réponds !’’

Je demeurais stupéfait :

-’’La rempailleuse m’a fait

Vous remettre ses économies,

Près de trois cent louis.

Mais ce que je viens de vous annoncer

Semble tellement vous agacer,

Que le mieux serait peut-être

…De remettre

Cet argent

À des indigents.’’

-’’Puisque c’est sa dernière volonté,

Il est difficile de la rejeter.’’

M’a répondu madame Forcat

Et son mari insista :

-’’Très bien. Nous achèterons

Des jouets à notre fiston.’’

Voilà l’histoire bien malheureuse

De Marie, la rempailleuse ! »

Alors, la marquise soupira :

-« Décidément ! Il n’y a

Que les femmes pour savoir aimer.

Vous me comprenez ? »