d'après LA REMPAILLEUSE de Maupassant
-« Pendant cinquante ans,
Une femme aima un homme passionnément. »
Nous racontait le médecin.
La marquise applaudit des deux mains :
-« Il a dû bénir l’existence
Celui qui fut aimé
Avec une telle constance ! »
Le médecin poursuivait :
« Elle l’aima jusqu’à son décès.
Et l’être aimé,
C’est Paul Forcat, le pharmacien.
Vous le connaissez bien.
Elle, c’était Marie, une rempailleuse.
Depuis longtemps tuberculeuse,
Elle me fit appeler à son chevet.
Le curé était déjà arrivé.
Elle ne quittait plus le lit
Et nous raconta sa vie :
Le jour de ses douze ans,
Elle croisa
Le jeune Forcat
Qui venait d’être dépouillé
De son porte-monnaie
Par un chenapan.
Comme il sanglotait,
Elle a, voulant le consoler,
Osé l’embrasser.
Mais, pour avoir accepté ce baiser,
Paul lui a réclamé
Une pièce d’un franc
Qu’il saisit avidement.
Dorénavant,
Et pendant les quatre ans suivants
Le jeune grippe-sou,
Ce fils de bourgeois,
Ne se laissait embrasser
Que si Marie lui versait,
À chaque fois,
Une poignée de sous.
Elle a ainsi englouti
Toutes ses économies.
Puis Paul fut mis en pension
Pendant trois longues saisons.
À son retour, quand il passait
Près de Marie, il feignait
De ne pas la voir.
Elle en pleurait de désespoir.
Quand il eut vingt ans,
Paul s’est fiancé
À une femme très distinguée..
Marie ressentit l’évenement
Si douloureusement qu’elle se jeta
Dans l’étang des Grichats.
Un passant la repêcha et la porta
Jusqu’à la pharmacie Forcat.
Le potard descendit en pyjama.
Sans paraitre
La reconnaitre,
Il la déshabilla, la frictionna,
Et, hypocrite, la questionna :
« Pourquoi vous êtes-vous jetée dans l’étang ? »
Pour ses soins,
Paul n’acceta point
L’argent de la rempailleuse.
Mais elle, toujours amoureuse,
Ne cessa toute sa vie
D’acheter ses médicaments
Dans cette pharmacie
Afin de voir Paul régulièrement.
Juste avant de mourir,
Elle m’a chargé
De lui remettre toutes ses économies :
Trois cent vingt-sept louis !
Pour les frais de l’enterrement.
J’en ai laissé trente-six au curé,
Le brave abbé Dalban.
Et de là,
Je me suis rendu à la pharmacie.
Dès que Forcat
Entendit qu’il avait été aimé
Par la rempailleuse,
II bondit d’indignation.
Il la traita de rouleuse :
Elle lui avait volé sa réputation !
Quant à son épouse, elle répétait :
-’’Cette gueuse !
Cette gueuse !
Elle méritait la prison
Ah ! oui, je vous en réponds !’’
Je demeurais stupéfait :
-’’La rempailleuse m’a fait
Vous remettre ses économies,
Près de trois cent louis.
Mais ce que je viens de vous annoncer
Semble tellement vous agacer,
Que le mieux serait peut-être
…De remettre
Cet argent
À des indigents.’’
-’’Puisque c’est sa dernière volonté,
Il est difficile de la rejeter.’’
M’a répondu madame Forcat
Et son mari insista :
-’’Très bien. Nous achèterons
Des jouets à notre fiston.’’
Voilà l’histoire bien malheureuse
De Marie, la rempailleuse ! »
Alors, la marquise soupira :
-« Décidément ! Il n’y a
Que les femmes pour savoir aimer.
Vous me comprenez ? »