"J'habite en moi comme dans un train qui roule. Je n'y suis pas monté volontairement, je n'avais pas le choix et j'ignore le lieu de destination. Un jour du lointain passé je me suis réveillé dans mon compartiment et j'ai senti que je roulais. C'était excitant, je guettais la trépidation des roues, j'exposais ma tête au vent de la course et je savourais la vitesse avec laquelle les choses passaient devant moi. Je souhaitais que le train n'interrompît jamais son voyage. En aucun cas, je ne voulais qu'il s'arrêtât quelque part pour toujours.
Ce fut à Coimbra, sur le banc dur de l'amphithéâtre, que j'en ai pris conscience : je ne peux pas descendre du train."
Raimund Gregorius rencontre la femme qui va bientôt chambouler son quotidien sur un pont, sur le chemin du Lycée où il enseigne à Bern, il pleut. Elle donne l'impression qu'elle va sauter, mais jette une lettre, puis écrit très vite un numéro de téléphone sur le front du professeur, pour ne pas l'oublier. Sa voix a un doux accent étranger, portugais. La femme disparaît de la vie de cet homme d'âge mûr que seul les échecs semblent encore émouvoir, mais cet incident va déclencher chez Gregorius des actions étonnantes. Elle va lui donner envie d'acheter ce livre, probablement auto-édité, d'un auteur portugais inconnu, Amadeu Prado. Puis, lire les premières pages du livre va lui donner l'impulsion de tout quitter et de prendre le premier train pour Lisbonne...
Cette lecture est exigeante, tant par son volume que par sa structure, assez savante, qui demande temps et concentration. J'avais du temps devant moi, je pouvais me tenir à un peu de concentration, j'ai donc profité de la fin de ses vacances pour me plonger complètement dans ce livre que l'on m'avait prêté. Et je n'ai pas regretté mon voyage à Lisbonne auprès de cet homme qui quitte tout pour s'habiller complètement des mots et de la vie d'un autre, autre qu'il va découvrir mort depuis longtemps. Gregorius va effectivement peu à peu reconstituer l'histoire du médecin et écrivain, intellectuel Amadeu Prado, enchaîner les rencontres, prendre la quête du portugais pour sienne et réfléchir ainsi sur le sens de ses actes et de sa vie, changer, apprendre une autre langue. Et j'ai été chamboulée, non pas forcément par toute la galerie de personnages, un peu fantomatiques, que Gregorius va interroger mais pas toutes les questions que les extraits du livre de Amadeu Prado soulèvent. Qu'en est-il de Dieu ? De notre libre arbitre ? Du poids de notre éducation ? Du savoir ? Du regard des autres sur notre vie ? De la colère ? De la solitude ? De l'amitié ? Du pouvoir des mots et de l'écriture ? Ce roman plonge dans les mystères de l'âme, nous prend doucement et nous enveloppe, fonctionne un peu comme un recueil de leçons de vie dont la clé de compréhension serait un doute omniprésent. J'ai aimé ces questionnements qui ont ouvert plein de petites portes en moi, des portes que je ne voulais pas ouvrir et qui se sont pourtant entrouvertes en grinçant. Comment retourner à une vie normale après cette lecture ? Je ne sais pas. Un coup de coeur époustouflant !
Editions 10/18 - 10.20€ - Février 2008