Comme toutes ses consœurs de la planète, la banque centrale britannique établit sa politique monétaire et détermine son plan d'action en fonction de sa connaissance et de sa compréhension du contexte économique. L'analyse de la situation du pays – qu'il s'agisse du niveau de la production industrielle ou du degré d'optimisme de la population – est donc un instrument crucial pour lui permettre de remplir son rôle. Or, il est de notoriété publique que les outils mis en place dans ce but sont loin d'être parfaits.
En premier lieu, il apparaît que l'environnement « digitalisé » contemporain est très mal appréhendé par les approches traditionnelles de mesure, conçues pour un monde essentiellement « matériel ». D'autre part, ces méthodes existantes ont également un défaut majeur de latence : essentiellement basées sur des indicateurs consolidés ou des enquêtes (auprès des consommateurs, des chefs d'entreprise…), les résultats qu'elles produisent arrivent avec 2 ou 3 mois de délai, ce qui devient inacceptable aujourd'hui.
Alors, la Banque d'Angleterre réagit, en mettant justement à profit les opportunités des nouvelles technologies. Elle veut enrichir ses modèles d'études avec des données issues de sources « non conventionnelles », telles que les réseaux sociaux, les articles de presse, les commentaires publiés sur le web… Son ambition est de parvenir à créer un véritable tableau de bord de l'économie, qui serait capable de fournir un aperçu précis, complet et immédiat de la conjoncture, permettant de prendre de meilleures décisions.
L'institution n'hésite pas à engager des investissements significatifs afin de développer ses compétences en matière de « big data » (puisque c'est bien de cela qu'il est question). Plus spécifiquement, une équipe dédiée a été constituée – sous une forme de « data lab » – en vue d'explorer les multiples possibilités qui s'ouvrent.
D'ores et déjà, les premières avancées semblent prometteuses. Les données « informelles » sont, par exemple, utilisées pour affiner les estimations sur le marché du travail, grâce à la prise en compte (entre autres) des recherches d'emploi sur Internet, ou encore pour évaluer plus profondément les perspectives sur les marchés financiers, en complétant le suivi des indices et les sondages par une analyse des sentiments exprimés à travers les avis et réactions mis en ligne par la « foule ». Ces essais démontrent rapidement une fiabilité supérieure par rapport aux méthodes traditionnelles.
Andy Haldane note cependant que les nouveaux outils doivent s'accompagner d'un changement de « philosophie » : plutôt que d'utiliser des données (notamment les enquêtes) pour confirmer (ou infirmer) des théories pré-établies, les analystes doivent désormais adopter une position d'ouverture, en allant rechercher les « histoires » que raconte la masse d'information disponible. Cet indispensable renversement d'approche est probablement ce qui rend les « big data » si difficiles à accepter…