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Le poids de l'impôt, Nouvelle Revue d'Histoire n°75, Novembre-Décembre 2014

Publié le 03 janvier 2015 par Francisrichard @francisrichard
Le poids de l'impôt, Nouvelle Revue d'Histoire n°75, Novembre-Décembre 2014

Combien de fois n'ai-je pas entendu cette expression: "Ça ne durera pas autant que les impôts". Ça? Tout. Tout serait périssable, sauf les impôts... Il faudra bien un jour en finir avec ce fatalisme, qui est l'une des marques de la servitude volontaire...

Dans sa dernière livraison, en couverture, La Nouvelle Revue d'Histoire , NRH, promet au lecteur de lui faire connaître "les origines de l'impôt". Ce n'est, hélas, pas une promesse réellement tenue par le bimestriel, et pour cause. Les origines de l'impôt se perdent dans la nuit des temps, avant que n'apparaissent les Etats.

En fait, plus modestement, il est question des "origines de l'impôt royal". La première phrase du premier article de la revue qui traite de ce sujet n'est rien moins qu'anticonformiste: "L'organisation d'un régime fiscal régulier et rigoureux témoigne généralement du degré de civilisation atteint par une société."

Emma Demeester, auteur de ces lignes, fait allusion à l'Empire romain dont l'effondrement se serait accompagné de la disparition de son système fiscal, "en même temps que la plupart des acquis de la civilisation antique". A cette aune-là la France d'aujour'hui aurait atteint un degré très haut de civilisation...

Dans un livre lumineux, Rome - Du libéralisme au socialisme, Philippe Fabry montre qu'en fait l'Empire romain était devenu de plus en plus socialiste et qu'il est mort justement, entre autres, par la grâce de son merveilleux système fiscal.

Pour en revenir "aux origines de l'impôt royal", l'historienne de la revue historique montre que le périmètre de l'Etat monarchique s'est élargi quand, pour faire la guerre, le souverain ne s'est plus contenté des revenus que lui procurait son domaine personnel.

Au cours des siècles l'administration royale a ainsi organisé la gestion de ses ressources externes de façon de plus en plus cohérente, c'est-à-dire en opérant la spoliation par la force de manière de plus en plus efficace. La cohérence a toutefois des limites, puisque tout le monde n'était pas logé à la même enseigne et que d'aucuns, hommes ou pays, aux dépens des autres, bénéficiaient pour de bonnes raisons de privilèges ou d'exemptions, voire des deux.

Ce développement de l'Etat royal, donc de la pression fiscale, ne s'est pas fait sans rencontrer des résistances. Ces résistances - c'est là où l'Histoire va à l'encontre des préjugés marxistes - étaient le fait non seulement des paysans, mais des nobles. Philippe Conrad égrène la longue litanie des soulèvements, qui jalonnent le sombre XVIIe siècle (après ceux du XVIe), et mentionne celui des Bonnets rouges, en 1674, contre l'institution du papier timbré.

On en viendrait presque à regretter la dîme, si elle avait été le seul impôt... En effet c'était l'impôt en nature que les fidèles devaient acquitter pour subvenir aux besoins du clergé, à l'entretien des édifices religieux et au soulagement des pauvres: "Si l'on essaie d'obtenir une moyenne pour l'ensemble du royaume, le taux du treizième serait, selon l'historien René Pillorget, le plus plausible". Or 7,7%, c'est moins cher payé que la Sécu...

L'histoire de la gabelle ne manque pas de sel. Jean-Joël Brégeon raconte que "Colbert cherchera à rationaliser un monopole reconnu de tous comme "l'un des principaux soutiens de l'Etat, qu'il tient lui-même pour "la plus noble des fermes", "un droit de couronne indiscutable". Ben voyons.

Comme, à l'époque, le sel est un produit de nécessité, c'est un instrument totalitaire pour tenir les populations en laisse, d'autant que prix et quantités minima sont déterminés au sommet de manière arbitraire et que les faux-sauniers risquent les galères au mieux, la mort au pire.

Jean Kappel s'émerveille: "La Ferme est [...] une extraordinaire machine financière, qui manipule des sommes énormes dont le montant ne cessera de croître tout au long du XVIIIe siécle" et cite, parmi les fermiers généraux, c'est-à-dire parmi les quarante grands percepteurs d'impôts, Claude-Adrien Helvétius et Antoine Laurent de Lavoisier. Il ajoute que c'est "pour ceux qui s'y engagent, un moyen de promotion et d'accès à l'élite sociale"... Certes, mais sur le dos des populations.

La Révolution devait mettre fin à la tyrannie fiscale exercée sur les populations: voeux pieux... Virginie Tanlay rend tout honneur au seigneur qui a mis bon ordre à dix années de pagaille révolutionnaire: Napoléon est "le fondateur d'un système que l'on considère comme l'une des "masses de granit" sur lesquelles il a bâti l'Etat français tel qu'il s'est développé au cours des deux derniers siècles". Elle précise que, connu encore sous le nom de Bonaparte, il a entrepris "une remise en ordre générale, fondée sur les principes militaires d'uniformité et de hiérarchie."

En écho, là il faut citer Philippe Fabry qui, dans l'ouvrage mentionné plus haut, écrit: "Avec Dioclétien l'Empire n'est plus romain, il est Empire tout court. Il n'est plus l'hégémonie d'une nation sur ses voisins mais la domination d'un Etat unique sur un ensemble de territoires. La bureaucratie et l'administration représentant cet Etat en tout point du monde romain s'accroît et s'organise sur le modèle de l'armée."

Le dossier de la NRH se termine par un article sur l'institution de l'impôt sur le revenu en 1914 et par un article sur Pierre Poujade et sa rébellion contre le fisc. Comme cette rébellion n'a été qu'un feu de paille, il n'est pas très intéressant d'y revenir. Une citation figurant dans le premier de ces deux derniers articles vaut d'être reproduite. Waldeck-Rousseau, opposant de la gauche radicale à l'impôt général sur le revenu, dit en effet avant que cette institution ne soit votée finalement par le Sénat le 15 juillet 1914:

"La Révolution ne s'y est pas méprise: le droit de propriété ne va pas sans l'égalité devant l'impôt. Il y a un antagonisme invincible entre le droit de propriété tel qu'il est reconnu par la Révolution et la progression de l'impôt."

C'est ce que ne voient toujours pas, de nos jours, nos politiciens français (et d'autres nationalités) qui sont de fervents spoliateurs sans le savoir...

Francis Richard


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