Salades a la sauce bolonié

Publié le 03 janvier 2015 par Teamvivia56

« La moutarde commençait à me monter au nez, raconte Philippe. J’en avais vraiment ras le bol de la cuisine à la sauce magouilles mijotée par Brice Bolonié. Il était temps que je mette les pieds dans le plat. »  

Philippe Georjan raconte ici un épisode de la rivalité exacerbée qui l’oppose à Brice Bolonié depuis le collège. Les deux hommes possèdent en commun la passion absolue des sports mécaniques. Mais leur relation oscille depuis l’adolescence entre amitié et conflit plus ou moins ouvert.

- Philippe a toujours été un enfant gâté, persiffle Brice. A l’école, il se prenait pour un caïd parce qu’il avait quelques kilos et une demi tête de plus que moi. Si j’avais eu la même taille que lui, ç’aurait été moi qui lui aurais collé des tartes.

A dire vrai, quoique bien bâti, Brice était plus petit que la majorité de ses condisciples, situation qui, alliée à son caractère querelleur, lui valut souvent de se faire secouer comme un prunier…

- Brice est quelquefois attachant, mais il a toujours aimé faire le cake, riposte Philippe. Il pousse le bouchon trop loin et il se trouve chocolat. Déjà au collège, il était aussi inconscient qu’un lapin de six semaines. Résultat, il s’exposait comme une dinde de Noël. Plus d’une fois il s’est retrouvé avec un œil au beurre noir. Moi, j’étais plutôt sympa avec lui. Je me contentais de le mettre par terre et de le prévenir que s’il continuait, j’allais l’aplatir comme une crêpe. Bien qu’il fût soupe au lait, il arrêtait généralement de faire sa tête de lard.  

Maintenant, laissons Philippe nous narrer l’histoire d’une saison agitée.

Les recettes de la victoire

- C’est la dernière saison de F1 qui m’a rappelé les embrouilles avec Brice cette année-là, commence Philippe. En course automobile, certains pilotes et leur entourage sont prêts à toutes les roueries pour gagner. Parfois, ça marche, la preuve en a été apportée en 2014 par un pilote qui roulait aux couleurs de la perfide Albion. Mais les plats empoisonnés en sport automobile sont des recettes ancestrales. En 1977, Brice Bolonié en connaissait un certain nombre et il n’éprouvait aucun scrupule à les utiliser.

« Nous avions 25 ans et nous nous nous étions déjà construit tous les deux des palmarès respectables. Certes, nous n’étions pas des professionnels. Nous gagnions notre pain quotidien dans d’autres activités. Brice était directeur commercial chez MAGIE-JOUET, une chaine de magasins de jouets qui était aussi son principal sponsor. Moi, j’étais avocat et je bénéficiais également de partenaires solides, Univers Travaux Publics (UTP) et MONDIA-TRANS. Brice racontait à qui voulait l’entendre que mes sponsors me gavaient d’oseille alors que lui ramait et n’aurait plus un radis à mi saison s’il ne gagnait pas toutes les courses auxquelles il s’alignait. Il prétendrait qu’il y arriverait car il avait plus faim que moi. Connaissant l’amitié indéfectible que lui portait le DG de MAGIE-JOUET qui était aussi le fils du PDG de la firme, je n’ai jamais cru qu’il manquât de blé pour courir…  

Cette année-là, le hasard des choix de nos armes nous amena à nous inscrire dans la même catégorie, celle des voitures de moins de deux litres dites de Tourisme de série. J’avais choisi une Ford Escort 2000 RS et Brice une Opel Kadett GTE. Normalement, je devais être favorisé en course de côte et sur le sec, lui en rallye et sous la pluie.

Les résultats du début de saison furent assez logiques. Brice m’a devancé au Rallye de la Côte Fleurie disputé de nuit au mois de Février sur des routes glissantes. Je n’ai jamais été en mesure de l’inquiéter. Je l’ai explosé au Touraine trois semaines plus tard. Un temps sec et un tracé rapide m’ont permis de donner toute la mesure de mon Escort. Une pluie persistante s’est révélée l’alliée des Kadett GTE début avril à l’Armor. Brice a pris sa revanche. Je savais depuis longtemps qu’il était rapide et qu’il serait un rude adversaire en rallye. Lors des épreuves suivantes, des courses de côtes, les choses ont tourné à mon avantage. Enfin, jusqu’à Bais Montaigu en juin. A ma grande surprise, Brice m’a collé une demi-seconde alors que je pensais avoir bien piloté… J’ai commencé à avoir des doutes.  

Fort de café

Même punition à Pluméliau dans le Morbihan début juillet. Malgré un parcours qui me semblait sans faute et plutôt favorable à mon Escort 2000 RS qu’à sa Kadett GTE, je me trouvais encore loin de Brice à la dernière montée. Il semblait avoir caché son jeu. Derrière lors des montées d’essais, juste devant à la première montée de course, et 7 dixièmes devant à la dernière. Étrange, d’autant que moi-aussi, j’avais amélioré au fil des montées.

- Il n’est pas conforme, j’en suis sûr, m’affirma mon cousin Laurent (1) qui m’accompagnait sur toutes les courses et me naviguait en rallye. Je l’ai chronométré dans la montée après le grand droite. Sa voiture accélère aussi fort que les Alpine groupe 4.

- Dis-donc Brice, tu n’as pas peur de faire une salade de bielles avec ta bagnole gonflée comme un dragster ? lui ai-je demandé quelques minutes plus tard. Ne me dis pas que tu es conforme.  

Le sport automobile a toujours été réglementé avec précision. Sur les voitures de notre catégorie, les modifications autorisées apportaient une augmentation de la puissance et de la tenue de route, mais elles étaient tout de même limitées, beaucoup plus que dans les groupes 2, 4 et 5.

- Si, je suis conforme, a-t-il répliqué avec un regard noir. Ce n’est pas de ma faute si toi et les pilotes de Commodore qui gueulent, vous conduisez comme des patates.

- Fais gaffe, Brice. Les choses vont tourner au vinaigre pour toi si ta voiture avance comme ça à la prochaine course. Je demanderai un démontage (NDLR : une vérification technique). Je n’ai pas l’intention de me laisser rouler dans la farine par sale petit un tricheur, je te préviens.

- Je suis meilleur que toi, c’est tout, gnagnagna. Il n’y a pas de quoi en faire un fromage.

« Je n’étais pas le seul à me sentir indisposé par les tours de passe-passe de mon ancien camarade de classe. Deux pilotes de Commodore GSE vinrent lui demander des explications, furieux de s’être fait devancer par une 2 litres, ce qui n’était pas logique sur ce tracé. En côte, leurs voitures, plus puissantes, devaient battre la Kadett GTE. Au moins sur un parcours rapide et une piste sèche. Eux-aussi étaient des tout bons. Brice les prit de haut. « C’est pas d’ma faute si vous êtes des plats de nouilles incapables d’appuyer sur le champignon, se moqua-t-il. Non, c’est pas de ma faute à moi, Bolonié. Moi Bolonié, je vais tout gagner maintenant, en côte comme en Rallye. Moi Bolonié, je vais vous apprendre durablement le goût amer de la défaite à tous. Moi Bolonié, je suis le meilleur de tous et je ne partagerai pas les lauriers. »  

"Je crus un moment que les choses allaient dégénérer et que le petit malin allait finir en bouillie. J’eus moi-même très envie de lui balancer une tarte dans la poire. S’il évita de se faire claquer le beignet, Brice n’échappa pas à une réclamation déposée par les deux pilotes de Commodore GSE qui bouillaient de colère. Le verdict ne se fit pas attendre. Arbre à cames, vilebrequin, taux de compression, injection, rapports de de boite, suspensions, rien n’était conforme sur la voiture de Brice. Sa machine était équipée de pièces homologuées en groupes 2, 4 ou 5. Autrement dit, Brice courait dans la catégorie des voitures dites de série avec une machine beaucoup mieux préparée, plus puissante et beaucoup plus chère que celles de ses adversaires. Le voleur de résultats était pris la main dans le pot de confiture. Il fut déclassé. Les pilotes de Commodore 2.800 cm3 se retrouvèrent premier et second du groupe 1. Moi, j’étais troisième de groupe et premier de ma classe de cylindrée, celle des voitures de moins de 2.000 cm3. Brice encourait en outre une suspension de sa licence de pilote dont la durée serait fixée par la fédération.  

Nous ne vîmes pas Brice Bolonié à la course suivante. Il se faisait oublier…

Cerise sur le gâteau

Mi-juillet, peu avant de partir aux 24 Heures du Spa que j’avais la chance de courir avec Xavier (2) sur une Ford Capri 3 litres, Brice vint me voir à l’improviste au cabinet. Il voulait que je le défende devant la commission disciplinaire de la fédération qui l’avait convoqué le 20 août.

- Je suis innocent, mentit-il. Si ma voiture n’est pas conforme, c’est parce que je la fais préparer en Belgique. Les réglementations ne sont pas les mêmes. Le gars s’est emmêlé les pinceaux entre ce qui est permis sur les voitures de production chez lui et le groupe 1 en France. En plus, il a mélangé dans son stock des pièces livrées par Opel pour des voitures de différentes catégories. Il s’est trompé en préparant ma voiture et il a monté des pièces interdites dans notre catégorie. C’est juste une erreur. Il m’a fait une attestation pour la commission. En plus, comme il ne parle que la Flamand, il a pu se tromper sur ce que lui avait demandé mon mécanicien. En tout cas, moi Bolonié, je peux regarder tout le monde dans les yeux en déclarant que je n’ai pas triché sciemment. Et moi Bolonié, je te promets que ces pièces ne m’ont pas favorisé. Au contraire, elles ont rendu ma voiture plus pointue à piloter. Je suis le meilleur pilote du plateau et c’est pour ça que je vais tout gagner maintenant. Je te propose un arrangement Philippe. La saison prochaine, nous nous entendons pour ne pas nous engager dans la même catégorie. Comme ça, ça ne te nuira pas trop que je sois le meilleur.  

- Tu crois que j’ai un QI d’huitre ou quoi ? Tu as oublié que si j’ai récupéré ma place à Pluméliau, tu m’as volé la victoire à Montaigu et sans doute à l’Armor comme au Côte Fleurie. Là, tu n’es pas déclassé. Or, ta voiture était sûrement déjà hors normes. Et tu crois sérieusement que je vais te défendre ?

- Ben, où est le problème ? Tu peux te servir de la mélasse dans laquelle je suis pour faire croire que sans les petites choses sur ma voiture, tu n’aurais pas bu la tasse dans les course où je t’ai mis la pâtée. Je t’offre de sauver l’honneur. D’autant qu’en te prenant comme avocat, je montre à tour le monde que je ne t’en veux pas de m’avoir traité de tricheur. Sans compter que je t’aide à gagner une affaire devant la fédé. D’autres pilotes en délicatesse avec les règlements le sauront et ça te fera de nouveaux clients à l’avenir. Et puis ne t’inquiète pas pour les honoraires. Le DG de MAGIE-JOUET dit que tu n’as qu’à faire une fausse facture de 20.000 F.H.T. à la boite avec un libellé « consultation d’audit juridique ». Il paiera par retour.  

- Je croyais que tu n’avais plus un radis ?

- Bah, c’était des salades. En me faisant passer pour le pauvre petit gars qui affronte des pilotes que je qualifie de riches comme toi et les mecs aux Commodore, j’attire la sympathie du public. Les gens sont comme ça. En France, ils sont jaloux et tapent toujours sur celui qu’ils croient plus riche. C’est la meilleure recette de pub. Elle fait tout avaler. Même si la fédé me sanctionne, il suffira que je dise que j’ai triché uniquement parce que mes adversaires avaient plus d’argent que moi et les supporters m’adoreront pendant que toi et les autres, vous serez les salauds qui m’auront écarté en abusant de la loi.

« J’ai envoyé Brice planter ses choux ailleurs… Il est parti avec une tête aussi pincée qu’une grand-mère acariâtre qui s’apprête à grignoter un gâteau sec avec son thé au citron.

« Brice Bolonié n’avait pas tort sur toute la ligne. Contrairement au dicton, le crime paye souvent. Cette année-là, le tricheur a retourné la commission disciplinaire de la fédération comme une crêpe. Ses membres ont avalé sa salade à la sauce Bolonié. Aucune sanction ne fut infligée à la petite crapule. Pire, cerise sur le gâteau, en décembre, Brice Bolonié fut désigné gentleman-driver de l’année par le magazine Sporthebdo. Les 4 pages écrites à sa gloire le présentaient comme un pilote extraordinaire qui méritait qu’un constructeur investisse sur lui afin qu’il se consacre entièrement à la compétition. Pas un mot sur la non-conformité de sa voiture qui avait enrichi artificiellement son palmarès. Ça vous étonne ? Pas moi. N’oubliez pas que le premier bénéficiaire de trois énormes « gates » révélés dans la discipline la plus renommée du sport automobile n’a même pas reçu un avertissement. La fédération ne s’est pas davantage formalisée du non-respect de l’équité sportive quand un team qui vend aussi des voitures de série a commencé à détruire les chances de son meilleur pilote pour permettre à l’autre de combler son retard et d’endosser le costume du champion…  

« J’ai quand même obtenu ma revanche cette année-là. Brice Bolonié est revenu à la compétition fin août avec une voiture sans doute conforme ou à peu près. Il ne m’a plus battu une seule fois cette année-là.

QUELQUES LIENS A SUIVRE

Retrouvez Philippe, Brice et les autres dans VENGEANCE GLACÉE AU COULIS DE SIXTIES, un polar vintage qui se conclut au bord de la piste des 24 Heures du Mans 1966 http://amzn.to/1nCwZYd

VENGEANCE GLACÉE AU COULIS DE SIXTIES, présenté sur Design Moteur http://bit.ly/1CBgu6H

Un autre univers de fictions automobiles http://bit.ly/1gDZwV5

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(1) Laurent, cousin de Laurent et compère inséparable de ses aventures. Il est un des personnages principaux du roman VENGEANCE GLACÉE AU COULIS DE SIXTIES

(2) Xavier Ferrant, pilote officiel du Team UTP et personnage important du roman VENGEANCE GLACÉE AU COULIS DE SIXTIES

Philippe Georjan