Ecrites entre 1971 et 1972, les mémoires d’Henri Frenay sont une lecture indispensable pour qui s’intéresse à la période de l’Occupation, et à la naissance des mouvements de Résistance, en France, et offrent une analyse à l’opposé de celle de Daniel Cordier. Fondateur de Combat, Frenay porte un regard cru, sans équivoque, sur nombre d’acteurs de cette période, des plus méprisables aux plus dignes de respect.
Ce livre se déroule durant la période allant de l’été 1940 à l’été 1945, et peut se décomposer en cinq grandes parties.
Dans la première, Frenay, ancien élève de Saint-Cyr, capitaine et officier d’état-major, est fait prisonnier mais s’échappe rapidement. Pour lui, il ne peut y avoir de capitulation, et la lutte armée doit se poursuivre. C’est ce qui le pousse à quitter l’armée à son grand déchirement, puis à élaborer et mettre en place un mouvement de résistance, dont il recrutera un à un les premiers cadres. Très vite, son esprit d’organisation lui recommande de se calquer sur la division administrative instaurée par Vichy, en zone libre, et il dispose de responsables pour chacune des grandes régions. Il passe dans la clandestinité, et son mouvement prend rapidement de l’ampleur. Il prend un nouveau nom, Combat, et revendique une large diffusion du journal qui porte son nom, à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires.
Avec une telle visibilité, il est donc normal que ce mouvement attire l’attention des organes de Vichy, de manière violente ou non: ses contacts avec le second bureau sont, au début du moins, relativement ouverts, et Frenay rencontre même le ministre de l’intérieur de Vichy, Pierre Pucheu. Mais très vite, les actions menées par les membres du réseau conduisent à une forte répression: le mouvement est infiltré par des membres “retournés”, et les premières arrestations ont lieu. On entre dans la seconde partie du livre, et les premiers contacts avec Londres ont lieu. Frenay rencontre Jean Moulin fréquemment, et de cordiaux, les contacts seront de plus en plus tendus. Il faut dire qu’en tant que responsable d’un mouvement, Frenay n’attend que deux sortes d’aides de de Gaulle et de ses représentants: de l’argent et des armes. Mais Moulin use de son pouvoir discrétionnaire, joue de la rivalité entre Frenay et les responsables d’autres mouvements, tels Emmanuel d’Astier de la Vigerie, à la tête de Libération. Le clash est inévitable. La rivalité ne prendra fin qu’avec la disparition tragique de Jean Moulin.
Frenay est alors parti à Londres puis à Alger, pour négocier avec de Gaulle et shunter Moulin. On entre dans la troisième partie: Charles de Gaulle refuse que Frenay rentre en France. On est à l’automne 43, l’Allemagne essuie revers sur revers, et de Gaulle lui confie une mission, celle d’organiser le prochain retour des prisonniers et des déportés. Le général voyait probablement dans Frenay un organisateur né, capable d’imaginer une structure de grande envergure susceptible de prendre son ampleur quelques mois plus tard. D’un autre côté, Frenay était probablement grillé en France, et a ainsi sauvé sa peau en restant en dehors de l’hexagone. Enfin, Frenay, grande gueule s’il en est, aurait probablement gêné la mainmise gaullienne sur une partie du dispositif de la résistance: il avait entamé des négociations directes pour se financer auprès des américains, supporters à cette époque de l’option Giraud contre de Gaulle.
La quatrième partie débute avec le débarquement des forces alliées en Normandie. Le gouvernement mis en place par de Gaulle suit rapidement les avancées alliées, pour s’installer dans Paris libérée à l’été 44. La structure imaginée par Frenay doit commencer à agir, pour ne prendre sa véritable ampleur qu’après les libérations de prisonniers sur le territoire allemand, puis plus à l’est, durant l’hiver 44-55. L’ennemi de Frenay, à cette époque, c’est le Parti Communiste, qui veut sa peau: c’est normal, farouche anti-communiste, Frenay s’est opposé à toutes leurs tentatives de mainmise avortées ou réussies sur les mouvements de résistance.
Enfin, la dernière partie s’étale de la fin de la guerre aux élections qui verront l’accession de Félix Gouin à la présidence. La défaite est amère pour Frenay, qui espérait tant que la résistance mène à l’essor d’une nouvelle classe politique, et qui doit se résigner au retour des figures de la IIIe république. Cette amertume, elle s’en ressent sur l’épilogue, pour moi inutile, dans lequel Frenay va qualifier Jean Moulin de crypto-communiste: ses tentatives de dissocier l‘Armée Secrète des mouvements, pour dissocier la résistance armée de la résistance politique, n’auraient eu en effet pour seul résultat – et selon lui pour seul objectif – que de propulser les communistes à la tête de la résistance.
Qualifié de “gaulliste de gauche” – mais à la lecture de ce livre, je doute d’un réel attachement de Frenay au gaullisme, lui qui qualifie de Gaulle de Bismarck français! – Henri Frenay me fait penser à un idéaliste, porté par une excellente formation militaire: la conjonction de ces deux éléments a fait de lui un remarquable organisateur dont la Résistance a pu profiter. Hélas, ce type de personnage, malgré ses qualités, ne peut faire de longue carrière dans un appareil politique. Il me rappelle, par certains traits, le personnage du créateur de startup, issu d’un grand groupe dans lequel son talent, son inventivité et sa combattivité ne peuvent totalement s’exprimer.
Enfin, pour le lecteur polytechnicien, ce lire est aussi l’occasion de découvrir ou redécouvrir l’action d’illustres anciens dans la Résistance ou aux côtés de de Gaulle: Louis Armand (24) André Dewavrin (32), Jean-Guy Bernard (38), Serge Ravanel (39), André Bollier (38)…
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