« Ne posez pas de questions si vous vous foutez de la réponse. Un matin, devant la machine à café, elle risque de sortir sans faire exprès ; et y’a des fausses notes un peu trop noires dont même la plus belle mélodie du bonheur ne se remettrait pas. J’veux dire, aucun metteur en scène ne nous a jamais soufflé ce refrain qu’on s’époumone à chanter un peu trop fort et beaucoup trop faux. On n’est pas obligé de brandir un bonjour alors qu’une mauvaise nuit borde nos yeux. On n’est pas obligé de demander si ça va juste pour avoir l’occasion de parler de soi. On n’est pas obligé de sourire avec une rage de dents. De toute façon, quand ça sonne faux, j’ai le frisson qui se réveille à l’intérieur. Pas celui qui germe sous les doigts de la coiffeuse juste après le shampoing, non. Celui qui hurle toujours moins fort que les ongles de la maîtresse contre le tableau noir. On n’est pas obligé, non plus, d’oublier qu’on n’est pas obligé et de balancer ceux qui ne chantent plus. C’est trop facile, de se cacher derrière des slogans publicitaires et des métaphores qui ont trop bu. Taper le carton, ça passe parfois le temps, mais la vie c’est peut-être un peu plus compliqué qu’une partie de belote, de tas de merde ou de solitaire. Et si l’important ce ne sont pas les cartes, mais ce que vous en faites, vous oubliez trop souvent ceux qui ne comprennent plus rien aux règles du jeu.
« Les gens qui ont un avis sur tout font flipper mes sacs de je sais pas. J’veux dire, aucune argumentation en bois ou en béton ne couvrira jamais le bruit d’une larme ou d’un éclat de rire ; et la politique n’est rien qu’un vaudeville qui a mal tourné. C’est trop facile de suffoquer sous un costume trois-pièces et de reprocher au mec qui tire la gueule dans le métro de voler tout l’oxygène. Et même s’il n’a pas une pièce administrative pour justifier son droit d’être malheureux, y’a des matins, devant la machine à café, où je le comprends ce mec-là. Essaye, toi, de trouver une place dans ce wagon qui déborde déjà de faussaires ; de trouver un sens à tout ça, au milieu des bandes blanches, des stops et des sens interdits. Dans ce monde qui file plus vite que la vitesse de la lumière, on freine toujours trop tard et il est déjà le bas-côté. Y’a tellement de poèmes qui ressemblent à des suicides avortés. Tellement d’explications de textes qui ont ronflé sous ces pendus qui ne savaient pas crier. Tellement d’adolescents paumés qui en ont fait leur livre de chevet. Qui ont évité tous les squares, même celui du souvenir, qui n’ont jamais fumé de pétards ailleurs que dans leur lit. Qui se sont toujours assis par terre, en laissant les bancs publics aux amoureux et leurs gueules sympathiques. Qui n’avaient donc aucune chance de croiser la route de ce type qui fume un petit ninas, ce type avec ses binocles et son costume gris. J’veux dire, la prévention est toujours cueillie si mûre, que même les mâchoires les plus musclées finissent par s’y casser les dents.
« Le désespoir n’est pas assis sur un banc et celui que je prenais pour un coup d’un soir est encore là au petit jour, à faire crisser un croissant au beurre sous ses dents en foutant des miettes partout dans mes draps. Le désespoir, c’est une histoire de petits jours qui se suivent et se ressemblent toujours. Une histoire d’aspirateurs qui expirent de miettes ne sont plus là, mais qui démangent encore. De matins qui font mal à force d’avoir gratté, de café qui coule sans attendre le gobelet. Une histoire de questions surtaxées et de mains brûlées au second degré. »