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Nourrir l’oiseau

Publié le 31 décembre 2014 par Albrecht

Celles qui donnent à manger à un oiseau peuvent, au choix,  se comporter en mère, en compagne de jeu ou en maîtresse-femme.

Commençons par le rôle le plus gratifiant, celui  de la nourrice.

Nourrir l’oiseau

Jeune fille nourrissant des oiseaux

Jean Raoux, 1717, Collection privée

Jean Raoux 1717

Des procédés théâtraux

Comme souvent chez Raoult, la simplicité apparente est soutenue par des procédés théâtraux élaborés.

La scène  est cadrée  par le rideau vert et la margelle de pierre, les deux éléments minimaux  que Diderot relèvera dans ses conseils aux comédiens :

« Soit donc que vous composiez, soit donc que vous jouiez, ne pensez non plus au spectateur que s’il n’existait pas. Imaginez, sur le bord du théâtre, un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas » Denis Diderot, Discours de la poésie dramatique (in Œuvres esthétiques , Paris, Ed. Paul Vernière, 1966,p.231)

L’éclairage venant du haut à droite contrairement à la convention courante, met en valeur le visage et les mains, laissant en suspens dans la pénombre un  décolleté  époustouflant.


Jean Raoux 1717 schema
Enfin, des formes circulaires construisent la douceur de la scène.

Des oisillons voraces

La cage pour la main gauche, la baguette pour la main droite, protègent la belle dame du  contact charnel et tiennent en respect la gent aviaire, aigüe, exigeante, batailleuse, impulsive :  toutes les caractéristiques d’une virilité agressive.

Nourrir l’oiseau

Femme nourrissant des oisillons.

Gravure de F.A. Moilte d’après J.B. Greuze

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Cette gravure reprend, mais en contrepied,  la composition de Raoult. Coincé dans le corsage, l’oisillon a pour double fonction d’attirer l’oeil sur le décolleté et, par ce contact charnel, de suggérer un nourrisson-miniature.

De même, la famille nombreuse, dans le nid, tire le thème du jeu de la féminité vers celui  de la maternité.

Nourrir l’oiseau

Alexandrine Lenormand d’Etiolles

jouant avec un chardonneret

Boucher,  1749, Collection privée

Boucher 1749 Alexandrine_Lenormand_d'Etiolles_with_a_bird

C’est le même registre mignard qu’exploite Boucher dans ce portrait de la fille de Mme de Pompadour, ici âgée de cinq ans, jouant  à la petite mère.

Nourrir l’oiseau

La becquée

Millet, 1870, Musée des Beaux Arts, LilleLille_PdBA_millet_la_becquee

En sens inverse, la maternité magnifiée dans ce tableau de Millet a pour modèle caché l’instinct aviaire :

« Je voudrais que dans la « Femme faisant déjeuner ses enfants », on imagine une nichée d’oiseaux à qui leur mère donne la becquée. L’homme travaille pour nourrir ces êtres là. » Millet, Lettre à un ami.

Nourrir l’oiseau

Le  thème de la becquée présente une intéressante variante, dans laquelle l’oiseau et la femme se bécotent dans une intimité troublante.

Nourrir l’oiseau

Fille nourrissant son  perroquet

François Ange, milieu XIXème, Collection privée

1869 Ange Francois Futterung des Papageis

Le cornet rose posé sur la cuisse explique ce que la jeune femme propose entre ses lèvres à son favori : un bonbon, pour changer du maïs ordinaire. L’église à l’arrière-plan bénit ce baiser contre-nature.

Nourrir l’oiseau

La Becquée

Elizabeth Jane Gardner Bouguereau, fin XIXème, Collection privée

Elizabeth_Jane_Gardner_Bouguereau__La_Becquee

Comme d’habitude, l’épouse de Bougereau s’ingénie à  pasteuriser les sujets scabreux : la petite fille s’intéresse à la cerise, la grand fille au bec, annonciateur  d’autres bécôts.

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Femme avec oiseau et grappe

Icart vers 1930

Icart vers 1930 femme avec oiseau et grappe

Icart n’a plus la même hypocrisie : femme et colombe partagent la même ivresse.

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Femme au perroquet

Carte postale, vers 1930

Femme au perroquet

C’est par un sucre que cette maîtresse-femme contrôle son cacatoès huppé.

Nourrir l’oiseau

En l’absence du contact buccal – qui impliquait une forme d’intimité –  le thème de la gâterie aviaire évolue vers le pur rapport de séduction ou de domination.

Nourrir l’oiseau

Femme nourrissant un perroquet,

homme nourrissant un singe

Caspar Netscher, 1664, Columbus Museum of Art

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Ce tableau à usage privé a une intention moralisatrice.

Avec son décolleté et son plumet provocants, la femme est clairement de mauvaise vie. En donnant une huitre, aliment aphrodisiaque, à son perroquet, oiseau particulièrement luxurieux (voir   Le symbolisme du perroquet),

elle surenchérit en quelque sorte dans l’excès.

De même, en donnant une noix, fruit associé aux testicules mais aussi à la nullité,  à son singe, animal bien connu dans les milieux chrétiens pour ses perversions sexuelles,

l’homme alimente le vice par le vide.

Nourrir l’oiseau

Chloe

Poynter, 1893, Collection privée

Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens

Le sous-titre du tableau renseigne le spectateur latiniste :

Chloe… dulces docta modos et citharae sciens
HORACE
Chloé me gouverne à présent,
Chloé, savante au luth, habile en l’art du chant ;
Le doux son de sa voix de volupté m’enivre.
Je suis prêt à cesser de vivre
Si, pour la préserver, les dieux voulaient mon sang.

Horace Ode III. 9 À LYDIE


Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens cage

Chloé offre deux cerises au bouvreuil  qu’elle vient de sortir de sa cage (un  sommet de la reconstitution gréco-romaine). Mais quel intérêt, pour une musicienne, de s’encombrer d’un passereau peu réputé pour son chant ?

A voir la réserve de cerises sur la table, devant la baie grande ouverte sur la mer, on comprend que le bouvreuil-poète préfère la becquée à la liberté  : « Chloé me gouverne à présent ».


Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens pied
La patte de lion sur le bas-relief, parallèle au pied de la maîtresse, révèle sa nature féline. Un félin qui domine tous les autres,  à voir la peau de panthère sur laquelle elle a posé son luth.

L’esthétique marmoréenne des victoriens s’accommode d’un rien de masochisme.

Nourrir l’oiseau

Couverture de Vogue, 1909

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Pour ce numéro consacré aux tissus, la robe de la femme rivalise de splendeur avec le plumage du paon. La symétrie des couleurs et du  décor en arrière-plan renforce cet affrontement de deux vanités,  dans laquelle la femme a manifestement le dessus : d’une main elle tend un fruit à l’oiseau, de l’autre elle désigne le cadran solaire horizontal qui les sépare. Or le paon, à cause de sa roue, a toujours été associé au soleil.

Il faut comprendre que le bras tendu submerge  l’aiguille dans son ombre. Ainsi la femme prend doublement le contrôle du paon : en le menant par la gourmandise,  et en le coupant du soleil.

Nourrir l’oiseau

Un piètre substitut

(an unsatisfactory substitute)

Alonzo Kimball, carte postale de 1910

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Cette illustration  éclaire le thème du nourrissage de l’oiseau mâle tel qu’il va se développer au début du XXème siècle  : donné du bout des doigt, le gâteau remplace le bécot.

Nourrir l’oiseau

Des bonbons tentants

Robert Lewis Reid,  1924, Collection privée

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Ce pourrait être une publicité pour le chocolat… c’est seulement un dérapage non contrôlé, du symbolisme sophistiqué vers le comique involontaire.

Le bandeau dans les cheveux veut souligner que la dame maîtrise la situation (une chevelure dénouée étant synonyme d’abandon à la sensualité).

Nourrir l’oiseau

Carte postale aviaire

Chicago, vers 1920

POSTCARD - CHICAGO - EXHIBIT SUPPLY COMPANY - ARCADE CARD - PIN-UP - WOMAN STANDING FEEDING LARGE BIRD - TINTED SERIES - 1920s

Naïvement sexy, cette carte postale  prouve que l’image de l’oiseau mené par le bout du bec était également comprise dans  les milieux populaires.

Là encore le bandeau bleu dans les cheveux signale que la fille garde toute sa tête, même si elle montre ses jambes.

Nourrir l’oiseau

Ganymède et  l’Aigle

Richard Evans, 1822, Victoria and Albert Museum

(c) Paintings Collection; Supplied by The Public Catalogue Foundation

Encore une histoire de séduction alimentaire :

  • dans le rôle de la fille, le jeune Ganymède en tenue légère et les cheveux bandés ;
  • dans le rôle de l’oiseau, Jupiter lui-même en bec et serres ;
  • dans le rôle du symbole phallique, la colonne finement ornée d’une tête de bélier.

Nourrir l’oiseau

Carte postale pour Thanksgiving

POSTCARD - CHICAGO - EXHIBIT SUPPLY COMPANY - ARCADE CARD - PIN-UP - WOMAN STANDING FEEDING LARGE BIRD - TINTED SERIES - 1920s
Cette enfant brandit innocemment au bec de la dinde son propre symbolisme sexuel : de quoi déconcerter le gallinacé !


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