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Publié le 27 mai 2008 par Gregory71
Il est à peine 5h du matin au-dessus de l’Atlantique entre Montréal et Paris. La lumière commence à peine à poindre. Les teintes orangées sont surnaturelles, ligne d’horizon trop parfaite pour être réelle, dégradé aux couleurs trop saturées pour être le produit de la nature, volutes des nuages vues à 8000 mètres encore grisâtres de cette nuit. Il y a très peu de relief, la lumière ne modèle pas encore les nuages, quelques variations de gris ici ou là, très peu à percevoir, le regard veut se perdre. Tout est comme écrasé et pourtant on sait les distances énormes. On est encore émerveillé de cette vision du dessus des nuages comme si nous n’étions pas à notre place, volant celle des dieux déjà vacantes. La lumière monte un peu plus, le bleu du ciel sort lentement du noir et l’orange devient rosâtre, tandis que le modelé cotonneux est à présent discernable. Les nuages ressemblent à ces photographies microscopiques de cellules organiques, un amas de graines, formes indéfinies et opaques, fractalité de la matière selon un point de vue qu’on sait relatif. On pourrait s’éloigner, s’approcher, sans doute ne verrait-on pas les mêmes choses, mais l’on aurait toujours le sentiment visuel de cette densité. Les nuages sont des reliefs, troués, denses, comme une terre imaginaire sur laquelle on pourrait marcher en enfonçant chacun de ses pas un peu plus. Il y a des lacs, nuages moins variés que d’autres, comme d’une brume dont on devine la transparence, des montagnes au lointain, quelques nuages aussi détachés de ces reliefs imaginaires transpercés de cette incroyable lumière orange qui se réduit de minute en minute diluée dans une clarté globale. Du coin de l’oeil, j’aperçois le fuselage de la machine, chrome du réacteur immobilisé dans mon champ de vision puisque mes yeux sont emportés par la machine. En regardant les nuages on aimerait voir tous les détails, rentrer dans chacun d’entre eux, passion d’un regard qui s’échappe de lui-même, continuité et discrétion, fragment et ensemble, le regard fraye de l’un à l’autre et varie selon ces deux pôles insensiblement. Il n’a pas à choisir. La terre est encore lointaine, on ose l’apercevoir à des milliers de mètres dans les trous laissés par l’horizon. Une grande coupure dans cet amas, rayé d’un vide qui laisse voir le bleu intense du marin comme si les terres attiraient les nuages et que la mer laissait le vide au-dessus d’elle déjà empreint d’humidité. La lumière s’élève encore creusant d’ombres la blancheur du ciel, des reliefs apparaissent comme les rainures d’une empreinte digitale, grands mouvements tournants reliant les formes entre elles selon une logique dont la structure est entièrement visible. On traverse donc la Manche, nous y sommes presque. Nous redescendrons sur la terre ferme après ce doux rêve d’une aurore céleste. Nos pieds reviendront à la dureté du sol. Nos chaussures claqueront. L’horizon nous écrasera encore. Il nous faudra agir coûte que coûte et mobiliser toutes les énergies disponibles en vue d’un projet sans fin.

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