Article de Glamour - octobre 2014
Effective depuis début septembre, une loi restrictive sur l'avortement, votée par les Républicains, au pouvoir au Texas, entraîne la fermeture de la plupart des centres d'IVG de cet état du Sud. Malgré les revers et la stigmatisation sociale, violente, les militantes pro-choice continuent de lutter.
"Mon objectif est de faire de l'avortement, à quelque stade que ce soit, un objet du passé." Ainsi parlait en 2012 le gouverneur républicain du Texas, Rick Perry. Deux ans plus tard, son souhait est en passe d'être réalisé : le Lone Star State ne devrrait plus compter cet automne que six centres d'IVG contre 44 en 2011. Six cliniques pour le deuxième état le plus grand et le plus peuplé des USA ! D'après une récente étude conduite par l'Université du Texas, près d'une femme candidate à l'IVG sur trois pourrait être privée de soins, ces centres étant tous situés en ville.
A l'origine de ce désert médical organisé, la loi HB2, artillerie lourde déployée contre les "meurtrières d'enfants" par la droite conservatrice au pouvoir, déterminée à revenir à la société bon teint d'avant l'arrêt de 1973 légalisant l'avortement. C'était il y a un peu plus d'un an. En juillet 2013, à Austin, le Sénat du Texas, majoritairement républicain, votait une des lois sur l'IVG les plus restrictives de l'histoire des Etats-Unis. Zoey Lichtenheld était bien obligée de se faire une raison. Bénévole à l'ONG Naral Pro-Choice Texas, cette étudiante de 22 ans avait passé le début de l'été au Capitole à organiser la désormais célèbre "obstruction parlementaire citoyenne" contre la loi HB2. "On incitait un maximum de gens à prendre la parole à la tribune de façon à retarder l'adoption du texte", explique-t-elle, très pro, malgré son timbre de petite fille. Le 25 juin 2013, la sénatrice démocrate Wendy Davis, chaussée pour l'occasion de baskets, obtenait le report du vote en squattant le micro onze heures d'affilée, sans s'asseoir, boire, manger ni aller aux toilettes. Héroïque et retentissant : Obama a tweeté l'événement, les baskets Mizuno Wave Rider 16 se sont arrachées sur Amazon, et Wendy Davis a été investie pour représenter les démocrates à l'élection gouvernatoriale de novembre prochain. "J'ai un portrait d'elle affiché dans ma chambre et un sticker de soutien à sa campagne collé à ma voiture", sourit Zoey.
Au Texas, ils sont des milliers de jeunes progressistes comme elle à s'être réveillés à l'annonce de l'examen du projet de loi, prenant par surprise le service d'ordre du Capitole, rapidement débordé. De mémoire de journalistes et de militants locaux, jamais au Texas, bras de fer législatif n'avait généré pareille mobilisation. Il faut dire que la pilule HB2 est dure à avaler. Parmi les nombreuses contraintes que cette loi impose au centres d'IVG, deux menacent directement leur existence. Les praticiens sont maintenant tenus de justifier de droits d'admission dans un hôpital situé à moins de 50 km de leur lieu de travail ce qui, dans un état rural comme le Texas, où la plupart des hôpitaux, privés, sont affiliés à des églises, relèvent souvent de l'impossible. Plus insoluble encore : depuis le 1er septembre, les cliniques doivent se conformer aux normes des centres de chirurgie ambulatoire - couloirs de 2,5 m de large, salles d'opération spacieuses, systèmes de ventilation sépcifiques... Autant de rénovations coûteuses qui ne répondent à "aucune nécessité médicale", dénoncent les personnels de santé. Faute d'argent pour les réaliser, les centres ferment les uns aprpès ls autres, contraignant les femmes vivant en zone rurale à parcourir des centaines de kilomètres, quand elles ne s'auto-administrent pas des pilules abortives achetées au marché noir, sans notice ni conseils d'utilisation.
Depuis 2011, plus de 200 lois restrictive de ce type ont été votées à travers le pays. Au total, environ 70 cliniques ont fermé ou ont cessé de proposer des avortements. Le Texas se distingue pourtant de ses voisins pro-life, le nombre de femmes concernées (13 millions) y étant plus important qu'ailleurs, et la batterie législativve adoptée, plus lourde. "Les Républicains nous ont concocté un best of, ironise une camarade de Zoey. Ils ont pris toutes les lois existant dans les autres états anti-IVG, ils ont mélangé, et ça a donné HB2".
Debout devant le Capitole, Zoey Lichtenheld regarde l'horizon. Bouché. D'autres se résigneraient. Elle refuse de savouer vaincue : "On a perdu une bataille, mais on gagnera la guerre". HB2 aura au moins servi à cela : malgré les défaites, les doutes, les harcèlements et les menaces, la communauté pro-choice du Texas avance en rangs plus serrés que jamais. Loin de se décourager, les défenseurs des droits des femmes fourbissent leurs armes.
L'arme médiatique
Carolyn Jones, journaliste free-lance. Début 2012, Carolyn apprend que le bébé qu'elle porte depuis quatre mois est atteint de troubles congénitaux sévères. La nouvelle tombe deux semaines après l'entrée en vigueur d'une première batterie de lois imposant aux femmes de passer une échographie 24 h avant une IVG. Pendant l'examen, le médecin est tenu de décrire le foetus à la patiente et de lui lire un document officiel associant stérilité, cancer et avortement. "De quel droit m'infligeait-on cette souffrance supplémentaire ? s'interroge Carolyn. J'étais en colère, je me suis sentie dégradée, comme si les auteurs de la loi étaient dans la salle d'examen avec nous." Décidée à "faire quelque chose", la journaliste raconte son expérience dans la presse locale. L'article fait grand bruit. Depuis, elle s'est spécialisée dans les questions de santé et de droits des femmes. "Les législateurs imposent leur point de vue, sans égards ni compassion pour leurs ocnitoyens. J'essaie de réhumaniser le sujet, en racontant l'impact qu'ont ces lois sur la vie des Texanes."
L'arme scientifique
Brook Randal, médecin. Elle est la seule professionnelle à accepter de nous parler. "Sept de mes confrères se sont fait assassiner. Je comprends que les autres préfèrent rester discrets." Elle ne pense pas représenter une cible. "Avec la loi HB2, je n'ai plus le droit d'exercer dans des centres d'IVG. Je suis médecin urgentiste, je n'y travaillais ue trois heures par semaine, de façon bénévole." Inquiétée, elle l'a été lorsqu'un militant anti-avortement l'a dénoncée à l'ordre des médcins, sous prétexte qu'elle ne portait pas de badge à son nom. "Il y a eu une enquête, j'ai dû payer un avocat. Mais tout s'est bien terminé." A défaut de povuoir faire plus, Brook Randal témoigne. A la tribune, lors de l'examen de la loi. Dans Glamour. "Les hommes politiques disent tellement de mensonges, comme ce lien supposé, en réalité inexact, entre IVG et cancer du sein."
L'arme associative
Lenzi Sheible, présidente de Fund Texas Women. En réaction à l'adoption de la loi HB2, cette étudiante a lancé en novembre 2013 Fund Texas Women, une hotline chargée d'aider les femmes isolées à financer le voyage de chez elles au centre d'IVG le plus proche ; "Les deux cliniques de la vallée du Rio Grande ont fermé, cite-t-elle à titre d'exemple. Désormais, les femmes de cette région frontalière défavorisée doivent rouler 230 km pour accéder aux soins." Beaucoup n'ont pas de voiture, d'assurance, ni parfois même de papiers. Grâce à des dons privés, Fund Texas Women a déjà pris en charge une cinquantaine de voyages. Des petites victoires, en partie gâchées par les messages de haine que Lenzi reçoit sur son répondeur. "Ces gens ne me considèrent plus comme un être humain, regrette-t-elle. Maintenant que j'ai une petite fille, j'ai peur. J'essaie de ne pas y penser, sinon je ne pourrais pas faire ce que je fais."
L'arme judiciaire
Amy Hagstrom Miller, PDG du réseau de cliniques Whole Woman's Health. En 2007, une bombe au propane a été déposée devant le centre d'IVG d'Austin. "Bîen sûr, c'est intimidant" reconnaît Amy Hagstrom Miller, pour qui les pro-life ont depuis "changé de tactique". "Leur harcèlement s'est déplacé de la rue vers l'appareil législatif." Au moment de notre visite, HB2 avait déjà provoqué la fermeture de deux des six cliniques de son réseau. Dans l'espoir d'en empêcher de futures, la directrice s'est associée à une action en justice engagée en avril devant la cour fédérale."Nous devons rejeter les bases sur lesquelles ces lois ont été adoptées, et nous battre pour les faire annuler ou éviter qu'elles soient appliquées." Le procès a eu lieu le 4 août
L'arme politique
Dawna Dukes, élue démocrate à la Chambre des Représentants du Texas. "Je lui ai bien cloué le bec, à celui-là" se félicite-t-elle, de retour d'un débat télévisé. La joute oratoire, les discours électrisant les foules, voilà ce que cette Afro-Américaine, à la Chambre depuis 1995, sait faire de mieux. "J'ai grandi pendant la lutte pour les droits civiques. La confrontation fait partie de mon ADN." La loi HB2 la révulse : "L'extrême droite au pouvoir au Texas considère les femmes commes des têtes de bétail, tout juste bonnes à héberger leur progéniture." Catholique, elle a été mise au ban de sa paroisse après d'être engagéee pour la défense du Women's Health Program, une plate-forme d'information et de soins destinée aux Texanes à faibles revenus, qu'elle avait contribuée à lancer. Pour elle, "l'église a perdu son chemin". Ses espoirs, elle les place dans le pape François, l'éventuelle candidature à la présidence d'Hillary Clinton, dans les femmes elles-mêmes."La guerre contre les femmes continue. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous décourager."
Le misoprostol, la fausse pilule miracle
Prescrit à l'origine pour traiter les ulcères de l'estomac, le misoprostol est également administré par les médecins, en association avec la mifépristone, pour provoquer des IVG médicamenteuses en tout début de grossesse. Bien connu des femmes d'Amérique latine, qui l'utilisent seul, dans le cadre d'avortements clandestins, on le vend désormais sous le manteau dans la vallée du Rio Grande, au sud du Texas, où les deux centres d'IVG ont fermé. Pour mettre fin à leur grossesse, les femmes de cette région ont de plus en plus souvent recours à ces pilules, achetées à l'unité auprès de receleurs, sans la moindre indication tant sur le dosage que sur la voie d'administration (orale ou vaginale). En cas d'échec de l'IVG sous misoprostol, il n'est pas rare que les femmes donnent naissance à des bébés souffrant de malformations.
Chloé Aeberhard