En effet, reparti du dernier Festival de Deauville avec le Grand Prix et le Prix du Public, mais également raflant tous les suffrages partout ailleurs, ce second film de Damien Chazelle (après un premier long déjà sur le thème de la musique, mais inédit en France) avait largement de quoi attiser les espoirs placés en lui , mais aussi , comme c'est souvent le cas lorsqu'un film déclenche une telle unanimité, décevoir ces attentes et retomber comme un soufflé.
Or, à la vision des premières minutes de ce long métrage de ce cinéaste même pas trentenaire (le genre de détails qui m'épate largement moi le presque quadra), j'ai été très vite rassuré tant "Whiplash" fait partie des grands films de cette année, car c'est une oeuvre qui dégage une énergie incroyable, révélatrice d'une maitrise et d'une vraie passion, autant pour la musique (la première passion du metteur en scène) que pour le cinéma.
Et au contraire de la grande majorité de la production indépendante américaine qui se complait dans la langueur et la contemplation (ce cinéma dont les Betes du Sud Sauvage en était pour moi l'illustration la plus édifiante), ce Whiplash frappe par l'énergie et le rythme que le jeune cinéaste, ancien batteur, insuffle à sa mise en scène.
Sur un récit d’apprentissage artistique qui fait parfois penser au tout aussi réussi Black Swan, le film insiste sur un apprentissage radical, violent, le seul qui puisse permettre à l’élève d’atteindre son but, et un état de grâce unique que seul son art peut lui apporter. Et seul un professeur prenant du plaisir dans le sadisme arrivera à faire sortir ses élèves de ses gongs afin que ceux ci puissent se dépasser.
Sous couvert de thriller de plus en plus tendu, le film creuse de très belle manière la question de l’inné contre l’acquis et nous montre bien que le talent n'est absolument pas suffisant s'il n'y a pas de travail ardu et poussé pour l'accompagner, principe que l'on voit rarement dans un film musical, où l'on a souvent l'impression que tout tombe du ciel au personnage principal. Dans "Whisplash", c'est par le travail que l’on devient le meilleur, et celui qui est prêt à faire les sacrifices inhérents à ce dur labeur pourra peut-être obtenir une possibilité d’atteindre son but.
Et forcément quiconque accepte cette philosophie ne doit pas avoir beaucoup d'états d'âme et de scrupules, et c'est ainsi que le héros du film, cet Andrew Newman poussé dans ses retranchements par ce professeur sadique, n'est pas forcément très sympathique, pret à être impitoyable avec ses proches et notamment avec sa jeune compagne, obstacle potentiel à sa carrière, avec qui il n'hésitera pas soudainement à rompre.
Dans ce rôle de prodige déterminé, Miles Teller ( que j'avais déjà remarqué dans le très beau "Rabbit Hole") porte assurément le film, incarnant la détermination obstinée d’Andrew avec toute l’intensité et l'ambiguité nécessaires. Face à lui, le très charismatique J.K. Simmons (que j'avais assez peu vu dans de gros rôles jusqu'à présent) excelle en chef d’orchestre tyrannique prêt à lui faire subir toutes les tortures psychologiques.
Filmé au plus près des corps et des caisses de batteries, ce Whiplash , qui casse les codes du film musical en montrant l'art musical comme un combat permanent, use d'une mise en scène particulièrement physique, afin de dégainer plusieurs salves particulièrement intenses, atteignant parfois des sommets de férocité rendant le spectateur parfois mal à l'aise mais toujours sous tension .
On aime particulièrement la façon dont Chapelle parvient à doser les répliques assassines qui font mouche avec des mouvements de caméra qui parviennent à mettre en valeur les morceaux de bravoure faits à la batterie, instrument pas le plus cinégénique au départ
Apothéose du bras de fer qui parcourt tout le film, la séquence musicale finale, étirée jusqu’à l’épuisement, clot en beauté ce qui est incontestablement un des meilleurs films musicaux de ces dernières années.
Pour toutes ces raisons, Whiplash s’impose de fait comme parmi les films marquants de cette belle année cinéma 2014.
Bande-annonce : Whiplash (2) - VO