A man dressed as Santa Claus stands next to a billboard for the Hollywood biblical epic movie "Exodus: Gods and Kings" displayed in the Moroccan capital Rabat on December 26, 2014. photo credit: AFP/FADEL SENNA)
Et de trois ! Après l'Egypte puis le Maroc (et non l'inverse comme il est souvent écrit), les Emirats Arabes Unis refusent leurs écrans au dernier film de Ridley Scott. Dans le monde arabe, il reste au moins visible au Liban où sa projection est interdite aux plus jeunes et précédée d'un avertissement précisant que la version des événements donnée dans Exodus. Gods and Kings est tout droit sortie de l'imagination de son auteur.
De prime abord, on pourrait penser que les problèmes que rencontre cette énième version de l'épopée mosaïque dans le monde arabe sont liés à l'éternelle question de la représentations des figures sacrées. En effet, beaucoup sont aujourd'hui persuadés que c'est un interdit majeur de l'islam, alors que la question est beaucoup plus compliquée comme l'attestent de très nombreux témoignages historiques, dans toutes sortes de lieux arabes et/ou musulmans (voir l'onglet « image » à droite de cet écran pour plus d'info). En réalité, cette question iconographique a pris depuis quelques années une dimension très politique, en particulier parce qu'elle met en scène une opposition frontale entre d'un côté la pratique chiite, très tolérante, et, de l'autre, la version wahhabite du sunnisme, farouchement opposée à toute figuration, à commencer par celle des figures majeures de l'islam et, plus largement, très hostile à toute représentation humaine (même si l'image du roi trône très [il]légitimement sur les billets de banque du pays!)
Aux dernières nouvelles, lesquelles sont quelque peu imprécises car l'histoire est confuse, ce serait cet argument qui aurait provoqué l'interdiction du film de Ridley Scott au Maroc. Un visa d'exploitation lui avait bien été donné mais, au dernier moment, des coups de fil affolés avaient exigé sa déprogrammation. Selon la distributrice, qui fait de la résistance avec le soutien de quelques gérants de salle, notamment à Marrakech, on reproche essentiellement à la dernière incarnation en date du prophète Moïse de porter atteinte à la personne divine. Car celle-ci, dans le récit rationnel, agnostique et voire même athée de Ridley Scott, est « figurée » sous les traits d'un jeune enfant particulièrement vindicatif et même enragé, inspirateur notamment de la rébellion qui s'achèvera par l'exode.
En Egypte, où le film est très officiellement interdit de diffusion, les choses ont été présentées très différemment, précisément pour éviter d'avoir à régler le problème en invoquant le dogme religieux. Plusieurs déclarations, dont celle du ministre de la Culture, ont ainsi expliqué que cette décision avait été prise par une commission à laquelle avaient été invités deux historiens spécialistes de l'Egypte ancienne. C'est donc parce que l'héritage national local est présenté sous un jour fallacieux, influencé qui plus est par l'idéologie sioniste, que l'interdiction a été prononcée, en précisant bien qu'on n'avait jmais cherché à prendre l'avis de l'institution religieuse, en l'occurrence Al-Azhar, d'ordinaire en première ligne sur ce type d'affaire.
La précision est nécessaire car Gaber Asfour, l'actuel ministre, qui se voit comme un grand défenseur des Lumières et de la tolérance religieuse, a croisé le fer à plusieurs reprises avec les enturbannés, précisément sur la question de la représentation (voir par exemple cet article d'Al-Quds al-'arabî en octobre dernier) ! Comme il était hors de question de donner seulement l'impression de suivre les courants traditionnels sur ce point, on a beaucoup insisté, par le biais d'une déclaration reprise par l'agence France presse par exemple, sur les erreurs historiques considérables, à commencer par le portrait des hébreux, présentés comme les « inventeurs » des pyramides, alors que Ramsès II, une figure quasi mythique (si l'on ose dire) de l'histoire locale, est dépeint, lui, sous les traits d'un affreux tyran assez barbare.
Aux Emirats, on affiche apparemment le même respect pour les faits historiques, mais sans pour autant passer sous silence la dimension religieuse ! En effet, le film y aurait été interdit en raison de ses « nombreuses erreurs concernant l'islam et les autres religions »... La formule a l'avantage de plus de franchise. En effet, au-delà de la licéité de la figuration de quelques-unes des grandes figures religieuses de l'islam, la vraie question posée est bien celle du contrôle du récit religieux – ce qu'on appelle encore parfois la « vulgate » dans le catholicisme, par référence à la version officielle de la Bible en latin (établie par saint Jérôme, le patron des traducteurs). Exodus aujourd'hui, Noé il y a quelque mois, mais tout autant des dizaines de feuilletons proposent en effet à la grande masse des fidèles, via l'image, des récits aussi populaires qui échappent au contrôle des multiples acteurs de l'institution religieuse.
Au Moyen Age, l'Eglise catholique oeuvra à l'écriture de ce qu'on appelle La Légende dorée, pour mieux contrôler les anciennes croyances païennes grâce à la fixation écrite d'une mythologie chrétienne. A l'inverse, on peut penser que la plupart des responsables de l'islam contemporain mettent tout en œuvre pour empêcher l'élaboration, par l'image filmique, d'une « saga religieuse populaire ». Non pas vraiment comme ils l'affirment à cause de son contenu, qui ne serait pas assez conforme aux récits canoniques, mais surtout parce qu'ils se méfient de toute médiation vis-à-vis du sacré élaborée en dehors de leur propre contrôle, celui des savants légitimes. C'est à mon sens la véritable raison de l'interdit actuel sur les représentations sacrées en islam.
Autant de questions dont on n'a pas fini de débattre car, en principe, sort dans quelques mois le premier volet d'une trilogie iranienne consacrée... à la vie du prophète de l'islam !