Publié en 1971, cet album d’Astérix fait encore partie de ceux qui sont signés par les créateurs de la série, à savoir Goscinny et Uderzo (ce qui s’interrompra avec la disparition du scénariste). Ce que j’y ai apprécié, c’est le scénario très resserré sur le véritable enjeu de la série, à savoir la résistance des gaulois contre l’invasion romaine. Souvent, elle est plutôt en marge des intrigues d’Astérix, mais ici, elle est au coeur de l’histoire et pourtant traitée de manière particulièrement moderne. C’est réellement de lutte entre la nature archaïque et la civilisation moderne qu’il s’agit. Avec l’insouciante supériorité du conquistador et l’ingénu mépris du citadin sur le bouseux, les matrones romaines investissent le pittoresque village autochtone à proximité de leur luxueuse résidence de campagne. C’est succulent, parce qu’on oublie souvent que les habitants du village gaulois sont avant tout des guerriers qui ne s’amusent jamais tant qu’avec une bonne bagarre, et qui se trouvent fort démunis devant les enjeux commerciaux ou esthétiques apportés par les nouveaux arrivants. Les rebondissements à répétitions (plans qui échouent, personnages dont on avait pas prévu l’intervention) montrent qu’en terme d’inventivité scénaristique, Goscinny, même mort depuis trente ans, reste difficile à égaler.
Evidemment, on y retrouve surtout tout l’humour qui fait le sel de cette série. Les Romaines veulent des poissons et des antiquités? Tous les Gaulois s’improvisent antiquaires et poissonniers! Idéfix ne supporte pas qu’on abatte un arbre? Les graines magiques de Panoramix le ravissent en faisant pousser des chênes à toute vitesse, ce qui n’impressionne pas Obélix puisqu’il ne sait pas à quelle vitesse poussent les arbres d’habitude. Les Gaulois ont besoin de libérer un logement au Domaine des Dieux? Il suffit de jouer à fond la carte du barbare assoiffé de sang pour faire fuir la clientèle. Et n’oublions pas qu’ils disposent d’une arme secrète en la personne d’Assurancetourix, leur barde aux performances vocales impressionnantes… Déjantée à souhait, la galerie des personnages utilise sans concession tous les petits travers de chacun, jusqu’à Jules César qui déconcerte ses interlocuteurs en parlant de lui à la 3ème personne, ce qui complique sérieusement la communication.
La note de Mélu:
Un très bon cru de la série!
Au niveau de l’intrigue, le début est assez fidèle. Mais des modifications ont été apportées. Il faut avouer qu’il était assez difficile de faire un film d’une heure et demie à partir d’un seul album, mais pas impossible. Là, le parti a été pris d’intégrer bien plus étroitement à l’histoire une famille romaine, innocente, qui tempère le manichéisme de l’univers d’Astérix en y apportant une importante distinction: il y a les légionnaires romains sur lesquels on tape, et il y a les civils, que l’on ne touche pas, voire que l’on héberge! Les parents romains et leur petit garçon sont donc l’occasion d’apporter de jolies scènes d’émotion, tant lorsque Obélix se lie d’amitié avec un enfant admiratif devant le colosse que lorsque celui-ci disparaît et provoque la panique de ses parents. Un peu plus de gravité et de profondeur donc, qui s’intègre plutôt bien dans l’intrigue de base. Le centurion Oursenplus lui aussi bénéficie d’un rôle étoffé, lui qui incarne tout le cynisme désabusé des Romains habitués d’être tenu en échec et porte donc un potentiel comique décuplé.
La grosse différence est donc qu’Alexandre Astier a poussé beaucoup plus loin toutes les pistes que la BD ne faisait qu’évoquer. Ainsi, la grève des légionnaires romains, anecdote du livre, devient une des scènes les plus cocasses du film (elle a même été gardée pour le teaser). Là où on n’entrevoit qu’un seul immeuble dans la BD, le film nous montre comment tout un complexe est petit à petit construit dans la forêt, avec ses activités annexes comme les thermes ou les salles de sport. Et là où les Gaulois se contente de transformer leur village pour accueillir la nouvelle clientèle romaine chez Goscinny et Uderzo, chez Astier ils réclament leur logement au Domaine des Dieux pour bénéficier de tout le confort moderne. C’est habile, car cela permet d’être à la fois très fidèle et très inventif. D’ailleurs, là où seuls Astérix, Obélix et Panoramix résistent à l’influence romaine dans le livre, c’est un Astérix très isolé et démuni que l’on retrouve ici, privé même de sa précieuse potion magique et ça, c’est une jolie prise de risque.
Quant à l’humour, on n’est pas en reste. Evidemment, on retrouve les mots habiles des auteurs d’origine, parfois cités rigoureusement et qui font toujours leur petit effet. Mais ce qui était surtout attendu, c’est la virtuosité des dialogues à laquelle Alexandre Astier nous a habitués. N’en déplaise aux fans, on retrouve la patte Astier. Certains dialogues semblent d’ailleurs tout droit échappés d’un épisode de Kaamelot, quand on n’y devine pas une référence de la pop culture qu’Astérix ne peut pas avoir mais n’aurait pas renié (“Vous ne passerez…. PAS!”! s’écrie un Panoramix très tolkienesque). Ca fonctionne sans faire pour autant du réchauffé, de la même manière qu’on avait dans Astérix et Cléopâtre une patte Chabat qui ne faisait pas non plus déjà-vu.
Ajoutez à cela une réalisation dynamique et efficace, ce qui là aussi était risqué quand on fait aussi le choix de rester fidèle aux dessins d’origine tout en les transposant en 3D et vous obtenez un très bon film d’animation franco-français qui réussit une jolie synthèse entre l’oeuvre de Goscinny et Uderzo et le talent télévisuel d’Astier. Et rien que ça, ça mérite des félicitations!