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Hommage au studio dessin de la NR et à ses bandes verticales

Par Casedepart @_NicolasAlbert

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Dessin d’architecte datant des années 1935 représentant la façade (rêvée) de la photogravure du Centre.

Jingle Bell, jingle Bell

Les sirupeuses mélodies de Noël baignent encore pour quelques jours les rues dans une guimauve sonore uniforme où dominent la voix immortelle de ce cher Tino et celle éraillée de ce vieux Schmoll.

Bien que plongé dans ses vieux papiers, l’oncle Erwann, tout de même sensible à la magie du moment (ah, relire Noël et l’Élaoin, ce conte émouvant de Franquin justement restitué sous la forme d’un mini-récit à fabriquer soi-même dans le remarquable hors série n°19 du magazine Lire :  » Franquin le géant du rire  » ! ), l’oncle Erwann donc, a tiré de leur sommeil quelques illustrations vieilles de 70 ans.

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La Une de Noël 1945. Le premier Noël de paix titre la Nouvelle République. La fresque tout autour de la page est signée Émile Jaquemin.

« Le premier Noël de paix », titre la Nouvelle République du 25 décembre 1945. Le jour où on annonce la mort du général Patton. Comme la fresque autour de la page de 1945, ce superbe barbu à houppelande de la une de Noël de 1948 est signé Émile Jaquemin.

Tiens, c’est l’occasion rêvée pour un petit zoom du côté du studio Dessin du quotidien régional du centre-ouest. Parce qu’à côté des multiples activités graphiques (réclames, retouches photos, illustrations diverses) qui faisait l’essentiel de son activité (jusqu’aux années 70), ce « studio » a réalisé aussi ce qui pourrait entrer dans la catégorie « bandes dessinées »… même si on peut évidemment avoir une définition plus restrictive du neuvième art.

Emile Jaquemin :

un grand monsieur

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Le bonhomme souriant de 1948. (Toutes les illustrations à suivre sont extraites de La Nouvelle République)

Mais comment nommer, par exemple, les bandes verticales historico-romancées, technique graphique de presse écrite,  semble-t-il typiquement française, et dont le France-Soir de Pierre Lazareff fut l’inventeur et le propagateur (création en novembre 1949 par l’historien Paul Gordeaux et le dessinateur Jean Bellus : les plus connues, la série des « Amours célèbres » en noir et blanc) ?

Rassemblé autour de leur « patron », Émile Jaquemin (1903-1965), un grand monsieur, artiste de talent, touche-à-tout doué aussi bien dans le style animalier que dans le récit historique ou que dans l’envolée sportive, une dizaine de rois du crayon et du fusain ont eu en charge, à l’époque, toute la couverture graphique et publicitaire du quotidien.

Citons donc, en guise d’hommage de Case Départ, même si leurs noms sont un peu tombés dans l’oubli*, quelques-uns de ceux qui vont faire vivre et animer les colonnes parfois fort grises de ce journal : Jean Lanneau, Gaston Chamblet, Théo Charpentier, Jean-Yves Hervéou, Gilbert Riche, ou Jean Etève, dont les lecteurs retrouveront la signature soit au bas des séries verticales régionalistes, soit au bas des comptes-rendus dessinés du Tour de France, ces deux catégories que l’on peut ranger – aujourd’hui – sous l’étiquette « bande dessinée ».

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Père Noël plus caricatural de 1946

Au-delà de ce studio, la NR, comme la plupart des quotidiens de la presse régionale, publiait également des dessins de presse (sous forme de caricatures politiques ou sportives, comme la Semaine de Siro), des strips en trois images (à cette époque comme ceux de Mose), et de « véritables » bandes dessinées fournies par des agences comme Intermonde, Opera Mundi ou Swan Features.

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Autres facettes du talent de Jaquemin : les sports (ici le supplément des 24 heures du Mans).

Dès les premiers numéros de la Nouvelle République, alors que le journal ne possède que deux ou quatre pages, le nom d’Émile Jaquemin apparaît sous des illustrations ou sous des « portraits » réalistes des politiques du moment. L’artiste n’était pas inconnu en Touraine : la petite histoire rappelle qu’il avait déjà signé, dans les années « folles », des fresques représentant une jeune femme très joliment déshabillée (elle s’appelait Madame Josette !) accompagnée de ses trois lévriers (peut-être des barzoïs).

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La fresque désormais historique de l’Étoile bleue, située dans le quartier de Notre-Dame La Riche au cœur de Tours. (Photo La Nouvelle République)

Cet ensemble mural se situait dans l’entrée d’une célèbre maison close de Tours, l’Étoile Bleue (à laquelle s’est intéressé notamment Alphonse Boudard, le chantre de ce genre de lieux de plaisirs, fermés par la loi Marthe Richard en 1946) : longtemps après, l’endroit, réhabilité, est devenu le siège de la Jeune chambre économique de Touraine (JCE) mais la belle Vénus aux chiens – devenue monument classé – accueille toujours les visiteurs.

Embauché dès 1931 dans un atelier « Les arts graphiques du Centre » créé par un Alsacien du nom de René Kolhmuller pour La dépêche du Centre, Émile Jaquemin va lancer en juillet 1934, une branche « créatrice » qui deviendra, après-guerre, le studio dessin de la Nouvelle République (lui-même deviendra également administrateur de la NR au titre des cadres).

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Le studio en 1957 : au fond, Jaquemin en discussion avec Pierre Petit en blouse blanche comme tous les dessinateurs. Devant eux (de g. à dr.) : Étève, Bry, Hervéou ; au 1er rang (de g. à dr.) : Riche, Chamblet, Charpentier, Lanneau. (Photo La Nouvelle République)

Né à Saïgon en 1902, il était revenu en métropole pour suivre l’école des Arts Décoratifs, celle des Beaux Arts et celle des cours Jullian avant de rejoindre la presse régionale. « S’il avait la science du dessin, dans la tâche, dira sa notice nécrologique parue en 1965 à son décès brutal, son humour avait la poésie de la bohème courtoise ».

Anecdote pour anecdote, le petit monde du neuvième art a cru longtemps que c’était probablement à Émile Jaquemin que l’on devait la première utilisation du concept « bande dessinée » le 12 novembre 1949 dans la NR, à une époque où le mot (l’association de mots pour être exact) n’existait pas… En fait, c’est du côté du journal de la SFIO, le Populaire, en 1938, qu’il fallait dénicher cette première citation historique (voir le site www.comixtrip).

Des bandes historiques et régionales

C’est à partir de 1950 (un an seulement après France-Soir) que la Nouvelle République va commencer la publication de bandes dessinées verticales. Toutes liées à l’histoire régionale, elles vont se succéder jusqu’en 1956.

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Théo Charpentier va débuter la série des bandes verticales avec un personnage très célèbre encore juste après guerre.

> La première est peut-être la plus symbolique. Théo Charpentier va raconter, en quatre images l’une sous l’autres séparées par du texte, « L’invraisemblable aventure de Rougé le braconnier ». Le texte est tiré du deuxième récit écrit en 1932, sur le même thème, d’un certain René Métayer. Rougé (ou plutôt Rouget avec un « t » comme on l’écrit en Anjou) est un braconnier qui après avoir tué un gendarme et avoir pris la clandestinité, finira par mourir au bagne de Cayenne en 1858.

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Illustration de Théo Charpentier

Cette histoire vraie devenue un mythe, a été l’objet d’une abondante littérature à la suite d’un feuilleton paru très rapidement en 1882 (conté par le grand père d’Hervé Bazin !), d’un film (en 1989 de Gilles Cousin) et d’une bande dessinée (par Bruno Vigan et Olivier Carré au scénario, aux éditions Cheminements en 2001).

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Illustration de Théo Charpentier

Héros populaire symbole de la paysannerie, trahi par une femme, Rouget est célébré chaque hiver sur une scène de théâtre à Daumeray (Maine-et-Loire), son village natal, sans interruption depuis 1971…

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Vigan et Carré donneront pour la maison d’édition poitevine Cheminements leur vision de Rouget (avec un « t » cette fois).

> Suivra, en 1951, avec des illustrations de Jaquemin, « La chouannerie en 1830 dans les Deux-Sèvres » d’après une thèse de 1948 de Jean-Robert Colle, historien régionaliste du Poitou, originaire de Lezay (Deux-Sèvres).

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Puis viendra la Chouannerie illustrée par Jaquemin en personne.

> Puis l’année suivante, dessinée par Jean Hervéou, « L’invraisemblable aventure de René Caillié » (aventurier et géographe deux-sévrien natif de Mauzé-sur-le-Mignon, premier « africaniste » et premier occidental à pénétrer – librement mais camouflé en pélerin islamiste – dans Tombouctou) d’après un ouvrage d’Oswald Durand, publié chez Mame (à Tours) en 1943.

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Au cœur  de l’intervention française au nord Mali, Tombouctou et ses trésors : l’occasion de rappeler l’extraordinaire périple du petit gars de Mauzé-le-Mignon.

> En 1954, ce sera le tour de « Paul-Louis Courier : sa vie, sa mort étrange d’après les livres et les traditions ». C’est encore Jaquemin qui signe cet opus sur un texte de Jacques-Marie Rougé (rien à voir avec le braconnier !), écrivain régionaliste et « folkloriste » (au sens fort du terme), créateur d’un musée du terroir à Loches (dans le sud de la Touraine) et animateur de la société archéologique de Touraine.

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Les débuts… et la fin de la biographie de ce personnage hors du commun dont les textes sont parfois réédités et qui a été complètement réhabilité par l’histoire.

L’impertinent Paul-Louis Courier (qui serait peut-être enchanté de savoir que des générations de lycéens qui se sont succédés dans l’établissement qui porte son nom à Tours l’ont toujours désigné sous le diminutif de « Popaul » !) est un polémiste tourangeau talentueux, pamphlétaire de haute volée, libéral et anticlérical et pas du tout bonapartiste qui finira assassiné par son garde-chasse en forêt de Larçay, près de la commune de Véretz en Indre-et-Loire, en 1825. Un monument simplissime (un bloc de pierre) qui rappelle les faits est toujours visible dans les allées de ces bois très fréquentés.

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Paul-Louis Courier, illustrations de Jacquemin

> Dernière série, dont le contenu peut paraître assez peu… historique, et qui va s’étaler sur l’année 1956 : « Les généraux vendéens au temps de la Révolution ». Chaque dessinateur du studio va y laisser sa griffe : par exemple, La Rochejaquelein par Jean-Yves Hervéou ; Lescure par Gaston Chamblet ; Bernier par Jean Etève ; ou Talmont par Gilbert Riche. Les récits seront signés, eux, de Jean-Robert Colle.

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La présence de bandes verticales dans la Nouvelle République ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Dès 1957, les lecteurs verront une curieuse version dessinée du film de Marcel Camus, « Mort en fraude » avec un Daniel Gélin assez ressemblant. Et il faudra attendre les années 70 pour que ce style si particulier dans la presse française (nationale et régionale) s’estompe.

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« Mort en fraude », les bandes verticales perdurent…

Pourtant, oncle Erwann devra revenir (si, si, on y croit) sur le traitement assez étonnant des étapes du tour de France toujours en bandes verticales par Jaquemin et Hervéou (jusqu’ en 1959) et sur la présence de dessinateurs sportifs « indépendants » du studio NR. Juste pour signaler aux gourmands qu’il s’agit de Siro, de Luc Vincent, du maître Pellos (mais oui, dans les colonnes de la Nouvelle République des années 50) mais aussi, avant qu’il ne préfère la politique et l’art lyrique, Maurice Tournade, qui à ses début signait èM.Té.

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Louison Bobet en 1959 : le Tour en vertical par Hervéou.

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Siro, caricaturiste sportif magnifique, illustrera aussi une « Semaine de Siro ».

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Les dessins du grand Pellos accompagneront également le Tour pour la NR.

Animateur pendant des années de la Semaine de Tournade, – bande verticale (ce qui justifie sa présence dans cette série de références) en quatre dessins devenue le rendez-vous politique de l’époque du général de Gaulle – il vient de rejoindre, à 81 ans, le paradis des dessinateurs de presse. C’est donc sur ce coup de chapeau et cet hommage que Case Départ tire sa révérence et retourne à ses archives pour préparer 2015.

A l’année prochaine.

Pour découvrir l’hommage de La Nouvelle République à ce grand caricaturiste, cliquez ici.

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Le livre de Maurice Tournade, une vision drôle et jamais acide de la Ve République du général de Gaulle.

* L’objectif de ce zoom n’est pas de retracer l’historique complet du studio. Il a compté, bien entendu, d’autres dessinateurs et d’autres responsables au fil des ans et avant de devenir un « service » qui s’est tourné vers l’infographie rédactionnelle.


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