Seconde vie [Atelier d’écriture #10]

Par Vudemeslunettes @Vudemeslunettes

Entre les gros repas en famille, le déballage des cadeaux, la préparation de la tenue de réveillon et la réflexion sur les bonnes résolutions pour 2015, voici venu le dernier lundi de l’année.

Lundi qui correspond à l’atelier d’écriture ! Car pas de trêve de Noël pour l’inspiration et l’écriture !

Bonne lecture et bonne journée à tous :)


Marion Pluss 

SECONDE VIE

Il ne leur restait plus que quelques rues. Après il pourrait rentrer au dépôt, prendre une douche, rentrer chez lui, reprendre une douche, jeter un coup d’œil dans la chambre de sa fille et enfin il se glisserait dans le lit aux côtés de sa femme.

Il n’aimait pas spécialement son métier pourtant il savait l’importance de ses actions. Alors il était consciencieux, toujours à l’heure, jamais absent, un vrai pro ! Son patron, ses collègues, tous avaient confiance en lui et il était aussi apprécié que respecté.

Apercevant un échiquier par terre, il sauta de sa petite marche. À quelques centimètres de là, il vit les pièces éparpillées. Un fou par ci, une tour par là, 2 pions … Il avait commencé à les ramasser, son collègue était venu l’aider.

Mon père en avait un pareil quand j’étais gosse, lui confia-t-il, oubliant l’espace de quelques instants sa mission.
- Pose le dans le camion ! C’est Noël !, lui dit son collègue sentant l’émotion et la nostalgie l’envahir.

Après avoir hésité, il fit le tour du camion et déposa son butin dans la cabine.

Il savait qu’il n’avait pas le droit de faire ça mais cet échiquier ne pouvait pas finir ainsi. Il se sentait rempli de culpabilité mais également de souvenirs.

Son père lui avait appris à jouer quand il avait 10 ans. Un cancer l’avait emporté deux ans plus tard. Faute d’argent, sa mère s’était débarrassée du superflu, dont l’échiquier de son père, puis ils avaient déménagé dans un minuscule appartement. Il était bon à l’école et il espérait devenir avocat. Et rêvait de rejouer un jour aux échecs.

L’année de ses 17 ans, sa mère était décédée à son tour. Il s’était retrouvé seul. Seul avec ses rêves. Mais il n’avait pas d’argent pour vivre. Alors après avoir obtenu avec mention et fierté son Bac, il avait décidé de faire des petits boulots et d’économiser pour ses études.

Il avait trouvé ce job rapidement. Malheureusement les mois passaient et il n’arrivait pas à économiser assez pour se payer des études et vivre. Il avait été forcé de continuer à travailler. Il s’était lié d’amitié avec ses collègues, était tombé amoureux, était devenu papa et avait accepté cette vie qui était désormais la sienne. Il se concentrait sur le bonheur que lui apportait sa famille.

Il s’était mis en pilote automatique, ses jambes et ses bras effectuant le boulot sans qu’il y pense. Pendant ce temps, il s’était souvenu. Et avant même qu’il s’en aperçoive, la tournée était terminée.

Grégoire, le conducteur du camion était venu le voir, lui redonnant l’échiquier et les pièces avec un sourire : « Je préfère le savoir avec toi que là où il était censé aller. Joyeux Noël à toi ».

Alors il était reparti chez lui. Avait posé l’échiquier sur la table avec émotion. Avait pris une douche. Jeté un coup d’œil à sa fille endormie. S’était allongé aux côtés de sa femme. Demain c’était Noël. Il pourrait en profiter. Il ne travaillait pas.

Il apprendrait à Alice les règles des échecs, comme son père lui avait appris. Ça faisait peut-être 15 ans qu’il ramassait chaque soir les ordures de la ville, mais il n’avait jamais oublié les parties d’échecs. Jamais il n’avait oublié les règles. Jamais il n’avait oublié son rêve de rejouer un jour. Ce ne serait pas avec son père, mais il ressentait une vive émotion à l’idée de partager ce moment avec sa fille.

Il se fit la promesse que jamais il ne jetterait cet échiquier. Il s’endormit alors, heureux.